Reviewed by Bertrand Augier, École Française de Rome (bertrand.augier@efrome.it)
Preview Cet ouvrage collectif, issu d'un colloque organisé à l'Université d'Auckland en juillet 2012, ambitionne de proposer une approche large des composantes du phénomène guerrier dans l'Antiquité, en se rattachant au courant de la « nouvelle histoire militaire ». Le fil directeur du volume est ainsi l'étude de la guerre comme construction sociale et prisme au travers duquel examiner les cultures antiques. Les douze chapitres qui le composent couvrent une bonne partie de la période antique, de l'Égypte pharaonique au Ve siècle p.C., suivant une perspective comparatiste. Chacune des six parties de l'ouvrage repose en effet sur la mise en regard, autour d'une thématique commune, de deux périodes et/ou aires culturelles distinctes, organisation destinée à ouvrir un dialogue transdisciplinaire et transpériodique. Le premier thème discuté, Military Narratives, évoque les modalités de description de l'expérience de la guerre antique à travers différents types de sources. La contribution d'Anthony Spalinger s'intéresse ainsi aux représentations topiques des pharaons lors de leurs campagnes asiatiques sous le Nouvel Empire, en reliant sources épigraphiques, iconographiques et littéraires. Leur combinaison fonde un récit historique mettant l'accent sur les aspects volontiers standardisés du rôle guerrier du souverain égyptien. Dans le chapitre suivant, David Nolan se concentre sur le corpus césarien, singulièrement le Bellum Gallicum, pour aborder la question des exempla qui y sont mis en œuvre par César, à travers le cas des centurions. Les comportements exemplaires de ces sous-officiers apparaissent comme des outils interprétatifs illustrant par l'anecdote le déroulement de la bataille. Par ailleurs, ces exempla se conforment à des paradigmes socio-culturels, correspondant au rôle attendu des centurions sur le champ de bataille. Ces derniers étaient en effet chargés de maintenir la discipline dans les rangs et de suivre les ordres du commandant, et ne devaient s'engager au combat que pour rétablir une situation désespérée. Sans nier l'intérêt de cette étude, on pourra regretter l'absence de toute référence à la description polybienne des devoirs des centurions (Pol. 6.24.9), tandis que la tension dans les représentations romaines de la guerre entre furor et disciplina, ou encore entre courage défensif et offensif, aurait pu être davantage convoquée comme schéma explicatif du comportement des centurions au combat. La deuxième partie de l'ouvrage, The Economics of Warfare, aborde la question de l'interdépendance des sphères militaires et économiques, notamment la mise en relation de trois pôles : guerre, mobilisation des ressources et contextes socio-économiques. Elle s'ouvre par une étude particulièrement éclairante de Matthew Trundle, examinant le rôle de l'économie monétaire dans l'évolution de la ligue de Délos au Ve s. a.C., autour de la question de l'acquisition, de la redistribution et de la circulation des ressources. L'auteur met en avant le lien étroit entre guerre navale, monnayage athénien et empire, et pointe l'émergence au sein de l'organisation militaire de la symmachie d'une économie interne centralisée, notamment à partir des années 430. La contribution de Nathan Rosenstein évoque ensuite la question du financement des guerres romaines entre la fin du IVe s. et 167 a.C. L'auteur démontre de façon très convaincante que celui-ci, pour la plupart des opérations militaires dans cette période ne reposait pas sur le butin et les indemnités de guerre, mais avant tout sur le tributum, payé par les assidui. Sur la base d'une estimation du coût annuel de l'entretien des légions romaines (fondée en grande partie sur l'évaluation du poids du stipendium), Nathan Rosenstein arrive à la conclusion que ce modèle de financement de la guerre reposait sur un nombre conséquent d'assidui. Le poids du tributum par citoyen, certes modeste, mena par ailleurs à un essor de la monétarisation et des circuits commerciaux. Cette conclusion permet à l'auteur de montrer, dans la lignée de ses précédents travaux, que la guerre, loin de ruiner les petits propriétaires italiens, fut aux IIIe et IIe s. a.C. un catalyseur de leur prospérité. Le troisième thème, Military Cohesion, central dans la nouvelle histoire militaire, est introduit par la contribution décisive de Jeremy Armstrong, mettant en cause la place de l'ethos civique comme facteur explicatif central de la cohésion des armées antiques dans l'historiographie. Aux VIe et Ve s. a.C., les armées de Rome furent ainsi très souvent victorieuses, en dépit d'une identité civique mouvante et d'une unité politique incomplète. Par ailleurs, les guerres romaines ne visaient alors ni expansion étatique, ni contrôle territorial. Dans ces conditions, les structures de commandement verticales semblent avoir combiné les formes de légitimité a priori concurrentes qu'étaient patria potestas et imperium. Autour de la notion sociologique de « groupe primaire », l'auteur met par ailleurs en avant que la cohésion horizontale de ces armées archaïques se fondait sur des liens familiaux, religieux, gentilices, mais aussi sur les buts communs aux combattants, qu'ils soient territoriaux ou économiques, davantage que sur l'appartenance civique. Concluant à l'absence de toute consubstantialité entre cohérence étatique et efficacité d'une armée, Jeremy Armstrong insiste sur la dimension personnelle de l'engagement. Sur ce point, les apports de cette étude font écho au chapitre de Mark Hebblewhite. Abordant la question des relations entre empereur romain et armée dans les années 235-395, l'auteur montre que le sacramentum militiae en demeurait alors un élément clé, et pouvait renforcer la fidélité des troupes à l'égard de l'imperator, sans toutefois la garantir ou même la générer, comme l'atteste le phénomène des usurpations. Pour autant, l'archéologie du serment militaire par lequel Mark Hebblewhite ouvre sa contribution n'aborde que trop peu sa dimension juridico-religieuse, fondant la condition de miles, et surtout fait fi des riches discussions que le contenu de ce serment, tant pour l'époque républicaine que le début de l'époque impériale, a suscitées. 1 La quatrième partie de l'ouvrage, Military Authority, s'ouvre par la contribution de Ralph Covino, centrée sur la question des limites légales posées à l'imperium des magistrats romains en contexte provincial dans la période républicaine. L'auteur s'appuie en particulier sur l'exemple sicilien, et met en évidence la complexe stratification des dispositions légales ou coutumières provinciales, et des outils de contrôle mis en place depuis le centre romain, tout au long de la période républicaine, afin de limiter les abus éventuels des gouverneurs. Ces derniers, ou leur entourage, connaissaient parfaitement ces limites posées à leur action, ce qui précisément leur permettait d'ailleurs de les contourner. Il s'agit là d'une contribution précieuse à l'histoire administrative du monde romain, et des rapports entre Rome et ses provinces, objet de nombre de recherches récentes. Sa perspective juridique contraste avec l'étude suivante de James Kierstead, analysant la nature du pouvoir et du contrôle exercé par Athènes sur ses alliés dans le cadre des deux ligues navales successives à la lumière des théories de l'action collective. Suivant cette perspective particulièrement stimulante, ces symmachies pourraient être conçues comme des groupes d'états individualisés recherchant les biens publics qu'étaient la sécurité et l'accès au marché, en vue desquels les membres les plus puissants supportaient l'essentiel des coûts. James Kienast différencie la ligue de Délos, dont la taille importante imposait un mode d'action hiérarchique avec des pouvoirs importants concédés à l'hegemôn, de la Seconde Confédération athénienne, de taille plus restreinte et au fonctionnement plus coopératif. Il met ensuite en évidence que la coercition exercée par Athènes à l'encontre des alliés récalcitrants (des « profiteurs »), pouvait apparaître légitime aux autres membres de la ligue. Par conséquent, ce modèle interprétatif nuance de façon radicale la vision d'une domination athénienne reposant sur la seule violence. La cinquième partie, Irregular Warfare, est la moins cohérente, en dépit de l'intérêt des deux contributions qui la composent. Dans la première, Jeroen Wijnendaele applique le concept de « seigneur de la guerre » (warlord/warlordism) afin d'éclairer les transformations de l'armée romaine au Ve s. p.C. La démarche adoptée, d'une grande valeur heuristique, permet d'éclairer la trajectoire de chefs militaires tels que Boniface ou Aëtius. Sur la base d'un réexamen de la Notitia Dignitatum et de l'Epitoma Rei Militaris de Végèce, l'auteur met en évidence le passage d'une armée centralisée à des corps de troupes partiellement autonomes par rapport au pouvoir impérial, pouvant certes être utilisés pour le rétablir, mais dirigés par des chefs militaires dont la légitimité était fondée sur le patronage qu'ils exerçaient sur leurs troupes (ainsi les buccellarii pour Boniface). Brisant le monopole impérial de la violence, ces seigneurs de guerre acquirent une prééminence politique, sans pour autant avoir recours à l'usurpation. Louis Rawlings analyse ensuite la petite guerre, ou guerre irrégulière, faite d'embuscades et de coups de main, lors des deux premières guerres puniques. Il montre que cette tactique indirecte était alors en usage du côté romain comme carthaginois : son impact psychologique, logistique, économique, autant que sa fonction d'exercice pour les troupes explique sa faveur auprès des commandants du temps. L'auteur insiste en particulier sur le rôle des troupes légères, de cavalerie, mais aussi de l'infanterie lourde dans de telles opérations. On peut regretter que ce volumineux article ne situe pas davantage la réflexion dans le temps long, et n'aborde ainsi pas les origines hellénistiques de cette conception guerrière (voir Pol. 9.12.2), ni ses développements ultérieurs. Le concept éminemment problématique, pour le contexte antique, de guérilla, aurait de la sorte pu être plus directement interrogé.2 La sixième et dernière partie, Fortifications and Sieges, montre le rôle clé joué par les fortifications dans les empires antiques, objets de conquête et instruments de défense territoriale. L'étude de Brett Headren est consacrée aux ouvrages de fortifications et aux opérations de siège connus par les reliefs égyptiens du Nouvel Empire. Comme le montre l'auteur, si la véracité historique des scènes de batailles représentées est discutable, les sources iconographiques sont d'une grande richesse pour notre connaissance des pratiques égyptiennes. Enfin, la contribution de John Lee concerne les défenses achéménides en Anatolie occidentale dans les années 412-395 a.C., soit de la nomination de Tissapherne comme satrape de Sardes, jusqu'à l'expédition d'Agésilas en 395. Déplaçant le regard habituellement fortement helléno-centré porté sur ces événements, l'auteur bat en brèche de façon fort convaincante l'idée d'un affaiblissement des défenses de l'empire perse dans ce secteur, mettant en évidence l'importance de la stratégie initiée par Tissapherne, appuyée davantage sur une connaissance de la géographie et de la politique locale que sur de puissantes fortifications ou des troupes nombreuses. En dépit d'un affaiblissement conjoncturel après la tentative de prise de pouvoir de Cyrus le Jeune, le dispositif permit l'établissement d'un ferme contrôle des achéménides sur la région, notamment après la Paix du Roi en 386. On pourra déplorer l'absence d'une conclusion générale, ainsi que la présence de coquilles (ertarrte au lieu de erstarrte p. 31 ; Mitylene au lieu de Mytilene p. 73 ; poetstas au lieu de potestas p. 112…), erreurs de latin (commentaria au lieu de commentarii, p. 36 et n. 18 p. 38 ; tribunes militum au lieu de tribuni militum p. 43) ou omissions dans une bibliographie générale presque exclusivement anglo-saxonne. Toutefois, les contributions à ce volume sont dans l'ensemble de qualité, notamment du fait de la fréquente prise en compte des apports récents des sciences sociales. L'ouvrage pourra donc constituer un instrument de travail et de réflexion des plus utiles, ouvrant ponctuellement la voie à des perspectives nouvelles de recherche dans le champ de l'histoire militaire antique.
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Notes:
1. Notamment S. Tondo, « Il sacramentum militiae nell'ambiente culturale romano-italico », SDHI 29, 1963, p. 1-25 et « Sacramentum militiae », SDHI 34, 1968, p. 376-396 ; A. Momigliano, « compte rendu de S. Tondo, Il sacramentum militiae », JRS 1967, P. 253-254 ; J. Linderski, « Rome, Aphrodisias and the Res Gestae : the genera militiae and the status of Octavian », JRS 74, 1984, p. 74-80 ; F. Hinard, « Sacramentum », Athenaeum 81, 1993, p. 251-263; J. Rüpke, Domi militiae. Die religiöse Konstruktion des Krieges in Rom, Stuttgart, 1990 ; et encore récemment A. Dalla Rosa, Cura et tutela. , Le origini del potere imperiale sulle provincie proconsolari, Stuttgart, 2014.
2. Voir F. Cadiou, «Alia ratio. L'armée romaine, la guérilla et l'historiographie moderne », REA 115.1, 2013, p. 119-145.
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