Reviewed by Jean-Michel Roessli, Université Concordia (jean-michel.roessli@concordia.ca)
Deux ans après avoir livré la première édition critique (cf. compte rendu par Anna Van den Kerchove, Bryn Mawr Classical Review 2014.08.55) de cet important traité de Titus de Bostra—la réfutation la plus développée de la religion manichéenne avant celles d'Augustin –, Agathe Roman, Thomas S. Schmidt et Paul-Hubert Poirier nous en donnent ici la première traduction française intégrale. Auteur méconnu et longtemps oublié du IVe siècle de notre ère, Titus, dont on ignore l'origine exacte, était évêque de Bostra, capitale de l'Arabie romaine en Syrie actuelle, de ca. 361 à 371, sous les règnes successifs de Julien (l'Apostat), Jovien et Valens. Soucieux d'œuvrer en faveur de l'unité et de la paix de l'Église orientale et aux prises avec les soubresauts de la crise arienne, Titus s'attaque dans cet ouvrage aux fondements mêmes de la religion de Mani, qu'il cherche à combattre par des arguments philosophiques, d'où le caractère assez technique de sa prose. Son traité est composé de quatre livres, dont les deux premiers visent à démontrer par une démarche dialectique le caractère illogique, voire irrationnel de la doctrine de Mani, fondée sur l'idée d'une opposition entre deux principes—le bien et le mal, la lumière et les ténèbres –, tandis que les deux derniers ont pour but de réfuter l'interprétation de l'Ancien et du Nouveau Testament données par les manichéens. L'ouvrage, écrit en grec en 363-364, a été traduit en syriaque au plus tard en 411—date du manuscrit dans lequel cette traduction est conservée –, soit une cinquantaine d'années à peine après sa rédaction, sans doute pour répondre aux besoins de l'environnement bilingue dans lequel vivaient les contemporains et successeurs immédiats de Titus, et cette version est la seule qui nous soit parvenue en entier, le grec n'en ayant conservé que les deux tiers environ. L'intérêt de la présente traduction n'est donc pas seulement de permettre à des lecteurs peu familiarisés avec les langues anciennes d'accéder à cet ouvrage capital, mais aussi de rendre compte des deux formes dans lesquelles nous pouvons le lire, la version syriaque ayant en outre l'avantage de nous avoir été transmise dans un manuscrit plus ancien que tous les manuscrits grecs—il s'agit même du plus ancien manuscrit syriaque daté—et de coller au plus près à la lettre et à l'esprit de l'original. Le syriaque permet donc de remonter par rétroversion à un état du texte potentiellement antérieur à celui que nous donnent les manuscrits grecs conservés. Chacune des deux versions possède par ailleurs ses spécificités, qu'il s'agissait de mettre en valeur. Ce beau volume du Corpus Christianorum se compose d'un bref avant-propos (9-11) rappelant la genèse du travail, démarré au milieu des années 1980 ; il est suivi d'une introduction substantielle à l'auteur, à son œuvre et au traité lui-même, dont un plan détaillé est proposé, en plus de remarques sur le style, la langue et les particularités lexicales et grammaticales des deux formes dans lesquelles le Contre les manichéens est conservé (13-49). Une bibliographie (51-67) et une liste d'addenda et de corrigenda à l'édition des textes grec et syriaque (69-72) complètent avantageusement cette introduction générale, qui est suivie de la traduction française des deux versions, données en regard l'une de l'autre, rendant ainsi la comparaison des plus aisées. La traduction est excellente, même si le texte est de lecture assez difficile et, de l'avis même des traducteurs, quelque peu rébarbative. Une annotation sommaire mais précieuse apporte les clarifications nécessaires à la bonne intelligence du propos, en même temps qu'elle indique les parallèles les plus pertinents dans les littératures anciennes. Le volume s'achève sur un index scripturaire et un index des noms propres. On l'aura compris : cet ouvrage comble une importante lacune dans l'histoire de l'hérésiologie antique et de la polémique anti- manichéenne ; il intéressera tous les historiens des religions et spécialistes de littérature paléochrétienne et devrait figurer en bonne place dans toute bibliothèque digne de ce nom. Un troisième tome, en préparation, fournira un inventaire commenté des citations de l'Écriture et des citations de Mani lui- même, telles que Titus les a reproduites et utilisées dans ses écrits. Il devrait paraître sous peu chez le même éditeur.
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