Reviewed by Vincent Jolivet, CNRS, UMR 8546 (Paris) (vincent.jolivet@ens.fr)
Était-il véritablement indispensable, dans le cadre d'une discipline déjà saturée par la page imprimée, et en manque cruel de Bausteine, de publier aujourd'hui un volume léger (206 p., en format 18 x 26) dont un quart, soit une cinquantaine de pages, avait déjà été édité trois ans seulement plus tôt, et qui n'apporte pas de réponses définitives aux questions qu'il avait alors posées, et pose aujourd'hui derechef, fût-ce en les approfondissant? S'il est légitime d'en douter, tous ceux qui — comme moi — sont convaincus du potentiel et de l'intérêt des recherches menées depuis quelques décennies sur la topographie du Champ de Mars septentrional et central, trop longtemps négligée au profit de sa partie méridionale, ainsi que de l'importance des fouilles dirigées avec intelligence et ténacité par Edmund Buchner et Friedrich Rakob entre 1979 et 1997, ne pourront que se réjouir de voir un groupe de spécialistes venus d'horizons très différents se pencher à nouveau sur la topographie de ce secteur de la Ville — même si leurs contributions n'auraient nullement souffert d'être regroupées, comme en 2011, dans l'une des deux livraisons annuelles du Journal of Roman Archaeology. S'il ne saurait remplacer la publication exhaustive qu'Edmund Buchner se proposait de réaliser sur ses fouilles, demeurée inachevée à sa mort en 2011, ce volume n'est donc pas non plus le point, aussi définitif qu'on aurait pu le souhaiter, sur nos connaissances relatives au monument et à sa signification, ce qui ressort d'emblée, et souvent dès le titre des différentes contributions, de la principale ligne de fracture qui sépare ses auteurs: il est question d'un horologium — terme repris dans le titre du volume, conformément à son appellation la plus traditionnelle (c'est par exemple celle du lemme signé par E. Buchner dans le LIMC), et à la conviction de son éditeur — chez Haselberger, Schütz, Leonhardt, Hannah et Alföldy, mais d'une méridienne chez Heslin, Alberì Auber, Pollini et Cipolla, Frischer et Fillwalk, ainsi que chez La Rocca (on s'étonne, à ce stade, que l'hypothèse de l'une transformée en l'autre, ou l'inverse, ne soit pas évoquée). En d'autres termes, s'agissait-il d'un véritable cadran solaire matérialisé au sol, quelle qu'ait été sa forme, ou d'une simple ligne méridienne — celle, précisément, remise au jour à la faveur des fouilles? Le seul texte antique relatif au monument (Pline, NH 36.71-73), centré sur l'obélisque d'Héliopolis qui lui servait de gnomon, bien que sollicité dans des directions opposées par les différents auteurs du volume, ne permet pas d'en décider formellement. Sa datation n'est pas mieux établie: les vestiges découverts sont-ils bien d'époque flavienne, reconstruit au dessus d'un dispositif augustéen analogue, selon l'hypothèse la plus généralement acceptée depuis Buchner, ou remontent-ils à l'époque augustéenne (Alberì Auber)? La hauteur de l'obélisque, de sa base à la sphère qui le surmontait, fait également débat (Schütz contra Alberì Auber). À la différence du volume précédent, dont les contributions étaient présentées de manière paratactique, celles-ci sont regroupée ici en fonction de quatre parties distinctes; compte tenu de la complexité, voire de la technicité des raisonnements des différents auteurs, des résumés auraient pu aider à synthétiser utilement l'essentiel de leur propos. La première partie, "The original debate (2011)" (p. 15-51), réédite trois contributions antérieures, en reprenant les éléments saillants d'un débat dont les véritables origines sont évidemment bien antérieures aux fouilles et à la publication de 2011, comme le montre la bibliographie dont le titre le plus ancien (p. 11), le De Vetustate Urbis de Pomponius Laetus, remonte à 1523. Celle de Lothar Haselberger se présente comme une tentative — par ailleurs réussie, en fonction des limites obligées de l'exercice — de "bring some clarity to a controversy that is more obscuring than illuminating" (p. 15), en détaillant six points d'accord et six points de controverse, avant de dégager trois conclusions, toujours fragiles, destinées à lancer un nouveau débat, d'emblée vivement amorcé sur deux sujets sensibles avec la réimpression des articles de P. J. Heslin et M. Schütz, le premier extrêmement sceptique quant aux restitutions d'un véritable horologium augustéen, le second redimensionnant considérablement l'importance du monument dans le cadre de la propagande d'Auguste. La deuxième partie, "Expanding the debate" (p. 52-99), prolonge les échanges engagés sur le monument, en introduisant dans l'arène cinq nouveaux intervenants. L'obélisque constitue un point de départ obligé, au centre de deux textes inévitablement assez techniques signés par un gnomoniste et par un physicien: celui de P. Alberì Auber, qui distingue deux phases augustéennes — l'érection de l'obélisque et la mise en place de la méridienne — et celui de M. Schütz, qui met en garde contre l'usage indiscriminé des simulations virtuelles et pour qui il n'est nullement prouvé que le gnomon ait été haut de 100 pieds, comme le proposait Buchner. Les deux autres textes de cette partie, étroitement complémentaires, bien que séparés dans le volume, s'intéressent à une même question — leur titre est d'ailleurs presque identique — celle du rapport entre le gnomon et l'ara Pacis, illustré à partir de simulations digitales: la projection de son ombre suggère à J. Pollini et N. Cipolla un lien très intime — voire extrême ("by having the shadow of a phallic obelisk penetrate the opening of the Ara Pacis", p. 56) — entre les deux monuments, tandis que les restitutions de B. Frischer et J. Fillwak invitent aussi à renverser la perspective, en matérialisant la position du soleil par rapport à la pointe de l'obélisque. L'enjeu de ces calculs est évidemment de chercher à comprendre si l'ombre projetée coïncidait avec le centre de l'autel à une date déterminée - 21 avril, les Parilia, 23 septembre, anniversaire d'Auguste, 9 octobre, dies natalis d'Apollon Palatin... Si leurs conclusions divergent, les auteurs de ces deux textes s'accordent en effet à souligner l'importance de ce lien dans le cadre de la propagande augustéenne - mais il demeure difficile d'en tirer des conclusions définitives, du fait des incertitudes concernant la hauteur du gnomon et la position exacte de sa base. La troisième partie, "Broadening the context" (p. 100-165), s'ouvre sur trois contributions favorables à l'hypothèse d'un véritable horologium, qui nous ramènent à nouveau au secteur de l'obélisque. Celle de G. Leonhardt, directeur du chantier de fouilles de Buchner, donne un aperçu des travaux réalisés entre 1979 et 1997, dresse un inventaire synthétique très utile de la documentation réalisée sur le monument, et propose un beau projet de mise en valeur de la ligne méridienne. R. Hannah et G. Alföldy apportent pour leur part différents arguments, déjà partiellement publiés, en faveur de la thèse d'un véritable cadran solaire: le premier exprime ses perplexités face aux objections de P. Alberì Auber, tandis que le second rappelle un modèle probable à Alexandrie, inauguré en 31 av. J.-C., et dont le gnomon était l'obélisque aujourd'hui érigé à Rome, place saint-Pierre. Le plus long article du volume (44 p.), celui d'E. La Rocca, embrasse très largement la topographie du Champ de Mars central et septentrional, avec une bibliographie forte de quelque 300 titres1: il semble du moins clair, en effet, que le monument, qu'il se soit agi d'une méridienne ou d'un horologium, s'inscrit dans une politique augustéenne délibérée d'aménagement de la partie occidentale du Champ de Mars. Si la plupart des collaborateurs du volume mettent l'accent sur l'ara Pacis, contemporain de l'érection du gnomon (10-9 av. J.-C.), il faut évidemment prendre également en considération dans cette approche le mausolée et la kaustra d'Auguste, le monument construit à l'emplacement de son ustrinum, dont la localisation demeure incertaine, mais aussi, comme le souligne opportunément E. La Rocca, le Panthéon, construit à l'emplacement du palus Caprae, lieu de la mort et de l'apothéose de Romulus. Avant les fouilles effectuées en 1996-1997 devant l'édifice d'Hadrien, la doxa voulait en effet que l'édifice ouvrît vers le sud, à l'opposé du mausolée. En mettant au jour les vestiges du pronaos d'Agrippa, ces travaux ont remis à l'honneur une hypothèse qui était déjà celle de Lanciani, en 1897, pour qui l'édifice d'Hadrien n'était qu'une reconstruction de celui d'Agrippa, réalisée selon un plan voisin: son entrée, au nord, faisait donc très exactement face à celle du mausolée (voir fig. 8, p. 130, élaborée à partir des dernières fouilles réalisées devant celui-ci). En dépit de la découverte, au XIXe siècle, d'un mur courbe peut-être augustéen — dont l'arc correspondrait à celui de la rotonde hadrianéenne, mais manifestement trop peu épais pour soutenir une voûte aussi large — il est impossible de se prononcer actuellement sur la forme, ronde ou rectangulaire, de la cella du temple2. L'élargissement bienvenu apporté par cette contribution n'est pas seulement spatial: sur le plan chronologique, il n'est pas inutile d'intégrer à la réflexion les monuments de consécration des Antonins édifiés dans cette zone: quel que soit le projet d'urbanisme, probablement demeuré inachevé, auquel ils répondent effectivement, et quel que soit leur lien avec la kaustra d'Auguste, ceux-ci se greffent très précisément, vers le sud, sur le prolongement de la ligne importante qui unissait le mausolée à l'obélisque, perpendiculaire à celle qui relie ce dernier à l'ara Pacis (voir ici p. 133, fig. 11). La quatrième et dernière partie, "Challenges and outlook" (p. 166-201) consiste en une seule contribution de l'éditeur du volume, qui souligne d'emblée avec regret (p. 167) que "the acrimonous nature of the recent debate is disturbing". Il propose un nouvel état, provisoirement conclusif, de la recherche relative au monument, résume les points d'accord et de dissension, et esquisse de nouvelles pistes de recherche. Du fait de la construction du volume, l'illustration (comme le texte) comporte plusieurs doublons (fig. 1 p. 44 = fig. 6 p. 178; fig. 10, p. 29 = fig. 7 p. 182; fig. 1 p. 102 = fig. 8 p. 186). Les p. 7-11 rassemblent une bibliographie générale d'une centaine de titres organisée en sept sections différentes, ce qui complique la recherche de références à partir de l'abréviation des titres données en note, sans présenter à mon sens de véritable avantage scientifique. Le volume se referme sur six bons indices: auteurs anciens, inscriptions antiques, prosopographie antique, monuments solaires anciens et modernes, sélection de termes techniques, softwares et systèmes informatiques. En conclusion, un volume un peu brouillon mais très pointu, dont la richesse et l'intérêt reposent sur la diversité des angles d'approche de ses différents auteurs — classicistes, topographes, architectes, spécialistes de sciences "dures"... — que les bibliothèques ne pourront manquer d'acquérir, mais dont la plupart des textes risquent de n'intéresser véritablement qu'un public spécialisé. Il en ressort en tout cas clairement que le futur de la recherche sur ce remarquable complexe passera nécessairement par la publication exhaustive des travaux réalisés par E. Buchner (à ce stade, une priorité absolue), par une étude pointue, et aussi définitive que possible, de notre connaissance des cotes antiques relatives à l'ensemble de ce secteur, mais aussi par de nouvelles fouilles ou carottages — en particulier dans la perspective de localiser précisément la base de l'obélisque; les techniques de simulation digitale, utilisées avec discernement, offrent aujourd'hui de nouveaux outils pour parvenir à mieux délimiter le champ des hypothèses. S'il est peu vraisemblable qu'on parvienne un jour à des certitudes, la combinaison de ces différentes approches devrait permettre, du moins, de mieux circonscrire le champ des hypothèses.
Notes:
1. On complétera cette bibliographie très à jour par deux titres importants (par ailleurs cités dans la bibliographie générale du volume): P. Rehak, Imperium and Cosmos: Augustus and the Northern Campus Martius, Madison, 2006, et J. Albers, Campus Martius: die urbane Entwicklung des Marsfeldes von der Republik bis zur mittleren Kaiserzeit, Wiesbaden, 2013. Voir aussi, en tout dernier lieu, F. Filippi, Campo Marzio. Nuove ricerche, Rome, 2015.
2. Voir, en dernier lieu, E. La Rocca, Il Pantheon di Agrippa, Rome, 2013 (avec, à la fig. 25, la reproduction de l'étrange proposition de Gerd Heene (2004) qui restitue un grand enclos circulaire hypèthre); id., Agrippa's Pantheon and its Origin, dans T. A. Marder et M. W. Jones (dir.), The Pantheon. From Antiquity to the Present, Cambridge, 2015, p. 49-78.
It is a little misleading for Vincent Jolivet to say that JRA is published in "deux livraisons annuelles". The journal comes out once a year, in October, with one fascicule devoted to articles and the other to book reviews. The original debate on the Horologium, published in JRA 2011, occupied 50 pages. That debate generated much further discussion, eventually resulting in the submission of several additional articles (about 150 pages' worth). Since it is against JRA policy to devote so many pages in the annual to a single building or a single theme because it aims to provide a great range and variety of material every year, there was no choice but to publish the further submissions in a supplementary volume. At that point, however, it did not make sense to publish the follow-up articles without reprinting the original debate, for the convenience of those who did not have JRA 2011 handy. In different circumstances we would agree with Dr Jolivet that the republication of recently-published material does not make sense.
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