Tuesday, September 29, 2015

2015.09.52

Yanne Broux, Double Names and Elite Strategy in Roman Egypt. Studia Hellenistica, 54. Leuven; Paris; Bristol, CT: Peeters, 2015. Pp. viii, 317. ISBN 9789042931251. €94.00 (pb).

Reviewed by Jean A. Straus, Université de Liège (jean.straus@ulg.ac.be)

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Les noms doubles dans l'Égypte gréco-romaine ont fait l'objet de plusieurs études, mais aucune n'est aussi approfondie que celle de Y. Broux. En effet, l'auteure a pu disposer d'une documentation quasi exhaustive qu'elle a utilisée avec beaucoup d'intelligence.

Dans l'introduction, Y. Broux pose la question de savoir si le nom et le nom double ont une signification sociale. Elle fait ensuite l'historique des études sur le nom double et tente une définition de ce nom: "a set of two or more sufficiently different personal names, each freely chosen to identify an individual, at birth or at a later stage in life, used either alternatingly or in combination. In the latter case the two names are often connected by a formula." (p. 7) Elle expose longuement (p. 9-22) la méthode qu'elle a employée, insistant sur l'apport des bases de données contenues dans la plateforme Trismegistos de la Katholieke Universiteit Leuven.

Quoique le nom double ne soit pas un nouveau phénomène dans l'Égypte romaine,1 son évolution se fait en étroit parallèle avec les changements administratifs et sociaux apportés par la conquête romaine qui touchent les élites métropolitaines. L'auteure consacre donc le premier chapitres à l'étude de ces changements qui atteignent leur point culminant au 3e s. avec l'introduction des boulai dans les capitales des nomes. Ce dernier fait encourage l'émergence d'une élite métropolitaine dotée d'un statut héréditaire. Dès ce chapitre, Y. Broux est confrontée au difficile problème de la définition des "élites":

"those who held the archai, together with the strategoi and the royal scribes, formed the political elite of the chora, an elite within the privileged orders." (p. 47); "it would be wrong to speak of the metropolites and the apo gymnasiou as a legal, political or economical elite." (p. 49); "the gymnasial order … can be described as a small, closed group of privileged people, with a clearly demarcated cultural and fiscal status, and as a minority within the entire population of Aegypti, which does have an elitist ring to it." (p. 49-50)
Les traditions onomastiques sont influencées par tous ces changements. L'auteure les étudie dans le chapitre 2. Elle y discute les liens entre onomastique, méthodes d'identification des individus et statut dans le monde gréco-égyptien et dans le monde romain puisque, avec l'incorporation dans l'empire romain, un nouveau système de polynymie, les tria nomina, est introduit en Egypte. Le nom double rencontre cette évolution onomastique.

Dans le chapitre 3, l'auteure donne un aperçu de quelques faits généraux relatifs aux noms doubles de la période romaine: les sources dans lesquelles ils sont attestés, quelles personnes les portent, comment ces noms se répartissent chronologiquement et géographiquement.

Dans le chapitre 4, les noms doubles sont organisés selon les formules qui joignent les deux noms. L'auteure établit une distinction entre les expressions grecques, égyptiennes et latines tandis que la juxtaposition est attestée en grec comme en égyptien. Une section est consacrée au nom triple.

Le chapitre 5 est consacré à l'étude de chacun des noms constituant un nom double. Ils sont classés par combinaisons d'affiliations linguistiques (e.g., deux noms grecs, un nom égyptien et un nom grec, etc.) et selon le type onomastique (théophores, dynastiques, etc.). L'attention est portée sur les relations possibles entre les deux noms. Une courte note traite de l'emploi alterné d'un nom double et d'un nom simple selon le contexte.

Pour illustrer l'utilisation des types variés de noms doubles décrits dans les chapitres 3 à 5, l'auteure utilise une sélection d'archives familiales (chapitre 6). En effet, grâce à leurs sources variées et à leur continuité chronologique sur plusieurs générations, ces archives donnent une image plus complète et concrète de l'emploi du nom double. Deux types de noms doubles émergent clairement: les noms liés par ὁ/ὃς καί qui constituent l'énorme majorité des noms doubles d'époque romaine (87%) et ceux joints par ἐπικαλούμενος ou une série d'autres formules grecques ou égyptiennes qui ne représentent qu'une minorité. Cette étude de cas montre aussi que les familles de l'élite ont une préférence pour les noms doubles formés avec des noms grecs "courants" reliés par ὁ (ἡ) καί. Il apparaît aussi que, dans plusieurs cas, les liens ἐπικαλούμενος et ἐπικεκλημένος sont suivis d'un sobriquet.

Les caractéristiques de ces types de noms doubles sont analysées dans le chapitre 7 en vue de tirer quelques conclusions concernant leurs implications sociales. Sont analysés leur distribution chronologique et géographique (mais je ne vois rien sur ce dernier point, p. 249-251), leur affiliation linguistique, les types de noms, l'homonymie, le nom double dans l'identification, la présence d'une désignation de statut, la différence entre les noms doubles officiels qui comportent l'expression ὁ/ὃς καί et ceux qui ne le sont pas, reconnaissables à la présence du lien ἐπικαλούμενος, καλούμενος, λεγόμενος, ἐπιλεγόμενος ou ἐπικεκλημένος, enfin les implications sociales de la polynomie dans l'Égypte romaine. On relève, entre autre, que le nombre de noms doubles augmente considérablement jusqu'au milieu du 3e s. avant de décroître, que 58% des noms doubles de type ὁ καί sont constitués de deux noms grecs, 15% de noms grecs et égyptiens, 15% de noms grecs et latins, que les noms doubles faits de deux noms égyptiens sont rares, que l'utilisation du nom double permet de donner à un enfant le nom de son père et de son grand-père paternel ou maternel. On relève encore dans les noms doubles la présence de noms à connotation religieuse, historique ou littéraire. Enfin, dans l'immense majorité des cas, le porteur d'un nom double n'apparaît qu'une seule fois dans la documentation. Il utilise donc ses deux noms et nous n'en savons pas plus. Mais, quand le porteur d'un nom double se retrouve dans plusieurs documents, une variété de comportements peut se dévoiler en fonctions des circonstances, surtout dans les documents privés: inversion de l'ordre des noms, utilisation d'un seul des deux noms, etc. Une indication du statut accompagne parfois le nom double. Pour 1362 sur 3566 porteurs de noms doubles de type ὁ καί, un titre ou une désignation de statut est ajoutée à l'identification de la personne. Il s'agit souvent d'une activité dans l'administration. La plupart des titres concernent les archai et les prestigieuses fonctions liturgiques métropolitaines. Les bouleutes s'ajoutent à partir de 201. Les individus portant des noms doubles du type ἐπικαλούμενος exercent en général des fonctions moins élevées (e.g. liturgies inférieures dans les métropoles et les villages). A peine 4,5% des personnes portant les noms doubles du second type sont des membres privilégiés de la société.

Le type de nom double qu'une personne utilise varie donc en fonction de sa position sociale. Pour établir la distinction entre les deux types de noms doubles (ὁ/ὃς καί en face de ἐπικαλούμενος, καλούμενος, λεγόμενος, ἐπιλεγόμενος ou ἐπικεκλημένος), Y. Broux propose d'utiliser une terminologie différenciée: l'expression "nom double" serait réservée aux noms construits avec ὁ καί et ses variantes étant donné qu'ils bénéficient d'une véritable reconnaissance officielle; les noms reliés par ἐπικαλούμενος et ses semblables seraient désignés par le terme "byname", "surnom". Le terme "nickname", "sobriquet" serait à éviter, car il présente un aspect péjoratif qui n'apparaît pas dans les expressions grecques.

Le livre de Y. Broux montre sans ambage le lien entre l'emploi du nom double (double name) ou du surnom (byname) et le statut social de celui qui le porte. Ses conclusions reposent sur une documentation exhaustive, une excellente connaissance des institutions, une très bonne méthode d'analyse et une prudence de bon aloi dans l'interprétation des données. L'élève est digne des grands maîtres louvanistes qui l'ont formée.



Notes:


1.   Un parallèle ptolémaïque au livre Broux sera publié par Sandra Coussement, 'Because I am a Greek'. Polyonymy as an Expression of Ethnicity in Ptolemaic Egypt (Studia Hellenistica, 55).

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