Reviewed by William Van Andringa, Université de Lille 3 (william.va@free.va)
[The Table of Contents is listed below.] Alexandra Dardenay et Emmanuelle Rosso publient dans cet ouvrage les actes d'un colloque organisé à Madrid. Celui-ci propose une douzaine de contributions qui examinent, à partir de sujets très variés, de nombreuses facettes du langage construit à l'époque romaine entre les sphères publique et privée. Malgré la diversité des sujets abordés, la question des représentations étudiées dans leur contexte spatial, public ou privé, sert toutefois de canevas général à la discussion. Dans l'avalanche des actes de colloques que nous connaissons depuis quelques années, souvent édités dans un rôle affirmé d'autoreprésentation du monde académique et responsable de l'encombrement de nos bibliothèques comme de l'assèchement des débats dans nos revues multiséculaires, l'ouvrage en question rassure. Il forme, en effet, un dossier bien calibré et irrigué de quelques idées nouvelles et d'analyses solides sur l'importance et la richesse des transferts entre les deux sphères, publique et privée, dans la construction de la société romaine et de son histoire. Toute réflexion sur les échanges entre les sphères publique et privée implique de convoquer d'abord les textes juridiques, ce que précise fort justement Jean-Charles Balty dans son introduction sur les transferts des éléments du langage iconographique. À ce titre l'article de Sylvia Estienne sur le patrimoine des dieux apporte des éléments de réflexion qui complètent magnifiquement l'article fondamental de Yan Thomas intitulé « La valeur des choses. Le droit romain hors la religion » et publié dans les Annales en 2002. L'auteur montre en particulier comment le droit plaçait la chose religieuse dans le même régime d'indisponibilité que la sphère du public. C'est bien une décision publique qui rend un lieu ou un objet sacré. Mais alors, quel statut pour les dons faits au sanctuaire ? Ceux-ci pouvaient être revendus à condition que leur valeur reste affectée au lieu de culte, d'où la mention régulière sur les inscriptions d'actes effectués pour les dieux ex stipibus. Du droit à son application, on trouve un article de Nicolas Monteix sur l'influence de l'administration de la cité de Pompéi sur le tissu commercial et productif supposé privé dans l'espace urbain. L'exposé est centré sur l'intervention des édiles qui, comme l'indique le règlement d'Irni (AE 1986, 333) avaient la charge « du ravitaillement, des édifices sacrés, des lieux sacrés et religieux, des rues, des quartiers, des égouts, des bains, du macellum, des poids et mesures ». Si l'on suit la loi d'Irni à la lettre, on comprend que les édiles pouvaient intervenir dans la gestion des sanctuaires, ce qui explique l'autorisation de l'édile local de Pompéi qui figure sur une offrande déposée dans la cella du temple d'Apollon (c'est aussi un édile qui intervient dans le célèbre règlement du sanctuaire de Jupiter à Furfo). On comprend également que l'intervention de l'édile sur le tissu commercial et productif ne s'imposait sans doute que dans des cadres particuliers, le macellum par exemple, et lorsque le ravitaillement de la cité était en jeu. L'analyse très fouillée de l'auteur conclut alors fort justement à l'absence de toute politique de réglementation contraignante sur l'implantation des commerces dans la ville. Sans oublier qu'une partie essentielle des négociations nous échappe. Celles-ci intervenaient dans la curie qui réunissait les membres du sénat local, autrement dit les principaux propriétaires des espaces privés urbains, boutiques et ateliers compris. Une fois ces questions de droit et de son application évoquées, l'analyse des représentations ouvre une longue série d'études de cas dont la diversité amène à des recoupements tout à fait évocateurs, notamment sur les modalités de transfert des codes de représentations entre les sphères publique et privée. Gilles Sauron montre comment l'organisation du Champ de Mars par Pompée a pu influencer le deuxième style pompéien dont on sait qu'il s'articule justement sur des décors et perspectives architecturales savamment mis en scène. On peut se demander en passant si le choix des acteurs divins qui prenaient place dans ces décors, comme dans la villa de Fannius Synistor à Boscoreale et celle dite de Poppée à Torre Annunziata n'avait pas tout autant un lien avec le paysage divin de Pompéi, exploitant en quelque sorte les ressorts de la mythologie locale. C'est notamment le cas de l'association de Vénus et de Bacchus qui se rendent visite sur une peinture célèbre d'une façade de Pompéi. On pense également aux évocations du triomphe de l'amour qui transparaissent dans les représentations d'Ariane et Bacchus, ou de Mars et Vénus. Celles-ci renvoyaient, comme l'indique Renaud Robert, à l'identité romaine des propriétaires des maisons, mais également et sans doute aux dieux qui animaient le quotidien des Pompéiens. Quoi qu'il en soit, les signes et motifs de la vie publique envahissent les décors des maisons : Hélène Eristov étudie sur les peintures de Pompéi différents motifs, dont les trophées d'armes qu'elle voit comme un écho de la vie publique distillé dans l'armature des décors peints. La même porosité des milieux est exprimée par l'étude des choix de représentation de la virtus et de la pietas des défunts. Alexandra Dardenay illustre ainsi le transfert de certains codes de l'iconographie officielle dans la construction des représentations en contexte funéraire. Valérie Huet rejoint ce constat en étudiant les banquets sur les reliefs funéraires romains qui montrent comment l'emprunt des scènes de banquet contribue à l'invention d'images génériques. Le rôle des statues n'est pas différent, contribuant de manière tout aussi efficace à donner sens aux espaces dans lesquels elles étaient disposées. Francisco Marco Simon nous donne un éclairage particulier qui est celui des images publiques et de l'iconographie privée à un moment de mutations très subtiles intervenues dans les sociétés hispaniques de l'époque républicaine. Trinidad Nogales Basarrate prend le relais avec les cycles iconographiques des espaces publics de Mérida. Le ton est donné. Jean-Charles Balty nous livre dans son article sur les types iconographique et statuaire un très subtil bilan sur la dynamique des échanges iconographiques entre les deux sphères établies de l'époque républicaine à l'époque impériale. Dans ces lignes, le transfert des représentations se mue en langage du pouvoir, notamment à partir de la fin de l'époque républicaine et de l'affirmation du principat. Un élément décisif dans l'évolution de ce langage des images fut sans doute l'identification des imperatores puis d'Auguste et de ses successeurs à l'État. En effet, comme nous le montre l'épisode du temple d'Apollon et de la maison d'Auguste sur le Palatin, concédés tous deux volontairement par Octave au domaine public, cette identification à la Res Publica – impensable dans la pleine époque républicaine – s'appuya sur un savant jeu de mouvements tectoniques faisant chevaucher les deux sphères publique et privée pour finalement les confondre (Dion 49, 15, 5 et 55, 12, 5). C'est justement cette proximité entre public et privé que mettent en scène certains collèges comme les Augustales étudiés par Emmanuelle Rosso. Le bilan établi par l'auteur est éclairant : les images exposées dans des lieux conçus comme des lieux de représentation participent à la construction mémorielle des collèges. Les portraits impériaux sont là pour délimiter précisément, de manière symbolique, les contours politiques et sociaux du groupe collégial (qu'il ait le statut officiel de collège ou pas) intégré dans la cité et à l'Empire. Bien entendu, la multiplication des statues impériales dans les locaux des Augustales renvoie à la fonction clairement affichée de ceux-ci qui étaient chargés, nous apprennent deux inscriptions de Liternum, de rendre un culte à la domus divina dont on sait qu'elle comprenait les empereurs vivants et divinisés. La lecture de ces lignes nous fait penser immédiatement à la corporation des Nautes de la Seine qui fondèrent leur siège social à Paris/Lutèce à l'époque de Tibère. Les images de divinités du pilier bien connu qu'ils érigèrent élaborent une définition précise du groupe amené à s'établir officiellement dans la cité. De la même façon, les Augustales de Misène dressèrent dans l'enceinte de leur siège des statues de divinités dont le nom était libellé au nominatif : offertes à différents moments de l'histoire du collège, elles représentaient les dieux patrons investis dans les domaines d'action du groupe. L'article de Nicolas Tran qui montre comment les inscriptions éclairent parfois les modalités d'installation et d'intervention des collèges dans les municipalités va dans le même sens. Ces quelques lignes suffisent à rendre compte de la richesse des discussions mises en œuvre dans cet ouvrage qui rendra service à tous les historiens et archéologues qui franchissent en permanence, dans les bibliothèques comme sur le terrain, au propre comme au figuré, les limites établies par les Anciens entre public et privé. Ce livre montre que ces limites étaient toujours vacillantes et souvent insaisissables, car modelées par les relations sociales et les histoires locales.Table of Contents
Alexandra Dardenay et Emmanuelle Rosso, Introduction 9
1. Ambiguïté des espaces
Gilles Sauron, "Le théâtre de Pompée et le deuxième style pompéien" 19
Valérie Huet, "Des banquets sur les reliefs funéraires romains: publics ou privés?" 35
Sylvia Estienne, "Penser le patrimoine des dieux, entre privé et public" 55
Emmanuelle Rosso, "Secundum dignitatem municipi: les édifices collégiaux et leur programme figuratif, entre public et privé" 67
Francisco Marco Simón, "Imagen pública e iconografía privada en las ciudades de la celtiberia en época republicana" 123
2. Interactions: réciprocité et complémentarité des échanges
Nicolas Tran, "Les collèges dans les espaces civiques de l'Occident romain: diverses formes de dialogue entre sphère publique et sphère privée" 143
Nicolas Monteix, "Espace commercial et puissance publique à Pompéi" 161
Trinidad Nogales Basarrate, "Augusta Emerita. Centro de interacción de los modelos metropolitanos en las esferas públicas y privadas de Lusitania" 185
Gaëlle Herbert de la Portbarré-Viard, "Le munus aquarum dans le carmen 21 de Paulin de Nole: un témoignage exceptionnel sur l'évergétisme chrétien des eaux au début du Ve siècle" 207
3. Du public au privé: transfert et appropriation de formes
Renaud Robert, "Arte et amore captus. Les collections: une appropriation controversée des opera publica et la perception du décor privé" 235
Hélène Eristov, "Échos et signes de la sphère publique dans le décor pariétal privé en Campanie" 251
Jean-Charles Balty, "Interactions entre la sphère publique et la sphère privée: types iconographiques et types statuaires, (Umbildungen, Zeitgesicht et Privatapotheose)" 275
Alexandra Dardenay, "Virtus et pietas du défunt. Quelques hypothèses de lecture de l'iconographie officielle en contexte funéraire" 297
Index des lieux 315
Indes des noms 319
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