Reviewed by Christine Kossaifi, CELIS – Université de Clermont-Ferrand (christine.kossaifi@ac-orleans-tours.fr)
[La table des matières est donnée à la fin de la recension.] Version remaniée et approfondie d'une conférence donnée par l'auteur à Cologne en mai 2012, ce court essai n'est lui-même que le chapitre d'un livre à venir, consacré à la créativité artistique en Grèce ancienne, sous le titre The Secret Hero: Inventing the Artist in Ancient Greece. Traitant principalement du meurtre de Perdix (ou Talos, selon les légendes) par un Dédale jaloux du talent de son neveu, il s'organise autour de quatre axes. Après avoir souligné la rareté des témoignages littéraires et iconographiques sur cet épisode du mythe, l'auteur étudie les variations poétiques qu'Ovide lui fait subir dans les Métamorphoses, puis analyse la psychologie passionnelle, en tentant de cerner ce que les écrivains grecs entendaient par envie et jalousie ; l'ouvrage se termine sur une synthèse d'ensemble de la notion d'artiste-meurtrier. Agrémenté d'une riche iconographie, ce petit ouvrage stimulant, joliment présenté, bien documenté et généralement correct dans sa typographie,1 se lit avec plaisir. L'analyse, toujours intéressante, est généralement convaincante et nourrit la réflexion personnelle. Ainsi, l'étude de la dimension initiatique du meurtre de Perdix-Talos et de son lien avec Héphaïstos ne renvoie pas seulement au schème mythique du « sorcier précipité »2 mais a également une signification cosmogonique. En effet, comme l'a montré F. Delpech,3 le schéma mythique du maître qui, par jalousie, tue son apprenti trop doué, est à mettre en relation avec le « sacrifice de fondation » (motif de la « chute verticale, précipitation ou plongeon involontaire, suivi de noyade », p. 214) ; ce « rapprochement avec le cycle du plongeon cosmologique » est d'autant plus intéressant qu'il met souvent en jeu une métamorphose ornithomorphe (p. 215), comme c'est le cas de Perdix (voir les analyses de Barbanera, p. 23-25). Pour F. Delpech, la thématique des ailes, entre nature et métis humaine, récurrente dans ce mythe, est en rapport avec les « démiurges ailés des mythes protohistoriques de plongeon cosmogonique » (p. 216). Une telle analyse mérite d'être prise en considération, même si le « symbolisme » peut sembler « compliqué » : le récit ovidien de la métamorphose de Perdix ne transcrit pas seulement une mutation in process (voir Barbanera, p. 23), il est aussi l'écho, déformé et poétique, d'un inconscient collectif. En effet, les strates mythiques des épisodes de Dédale, Perdix et Icare éclairent la symbolique de la créativité artistique dans le monde gréco-romain, entre admiration et méfiance : elles placent l'artisan ingénieux au centre du cercle cosmique, aux quatre points cardinaux de l'univers,4 entre ciel et terre, haut et bas ; mais elles ne lui donnent pas la toute puissance divine sur la nature : la mimésis parfaite est impossible (voir les analyses de Barbanera, p. 39-45) et, quels que soient ses efforts, l'artiste sera toujours perdant parce qu'il est un être de chair, de sang et de passions comme les autres5 ; l'œuvre d'art ultime, celle que personne ne peut dépasser, reste un chef d'œuvre inconnu, un rêve dont le sillage traverse l'écran des littératures et des arts, comme le plongeur de Paestum celui du couvercle de sa tombe.6Table des matières
Daedalus as object of myth-making, p. 7-10
Variations on the myth of Daedalus in Ovid's Metamorphoses: the fall of Icarus and the killing of Perdix, p. 10-30
Zelotupia o phthonos? Instruments to define a passion in Greek society, p. 30-34
The artist as a murderer, three variations on a theme: competition, mimesis and crime, p. 34-48
References, p. 49-54
Plates, p. 55-60
Notes:
1. On peut toutefois regretter que les esprits doux du grec soient systématiquement transcrits par un accent aigu et que les titres des ouvrages, tant dans la bibliographie finale que dans les notes, ne soient pas en italiques. Il est aussi surprenant de voir les Métamorphosesd'Ovide (VIII, 236-259) citées sans retour à la ligne en fin de vers (p. 13-15), ce qui dénature le souffle poétique du passage. D'une façon générale, l'invention des ailes par Dédale (cause d'une métamorphose mécanique, analysée p. 11-13), aurait gagné à être mise en parallèle avec le projet poétique d'Ovide, projet qu'il avait déjà exposé au début du livre II de l'Art d'aimer (étrangement absent de l'analyse de Barbanera) et qui rapproche Dédale du poète. Sur ce sujet, je me permets de renvoyer à mon analyse, « De l'homme-bœuf aux ailes de cire : Le Minotaure et Dédale dans l'Art d'aimer d'Ovide (II, 15-96) », p. 379-381, in C. d'Humières et R. Poignault (éd.), Autour du Minotaure, Presses Universitaires Blaise Pascal, coll. « Mythographies et sociétés », 2013, p. 363-382.
2. M. Delcourt, Héphaïstos ou la légende du magicien, Paris, 1982, p. 115-120 ; voir aussi, plus généralement, p. 110-136 et 159 ss. Cf. également M. Détienne et J.-P. Vernant, Les ruses de l'intelligence. La métis des Grecs, Paris, 1974, p. 255 ss. Ces deux ouvrages ne figurent pas dans la bibliographie.
3. F. Delpech, « Le plongeon des origines : variations méditerranéennes », Revue de l'Histoire des Religions, 217, fasc. 2, avril-juin 2000, p. 203-256, surtout p. 209-216 (absent de la bibliographie).
4. C'est ce que Vitruve théorise dans son « homme », De Architectura, III, 1, 3 (le corps humain est un modèle de perfection mathématique, géométrique et musicale).
5. L'artiste reste confronté à sa propre finitude même quand, comme les créateurs contemporains, dont Orla, évoquée par l'auteur, il fait de son propre corps la matière de son œuvre.
6. Il s'agit de la tombe étrusque, dite du plongeur, découverte en 1968 et datant environ de 480-470 avant J.-C. Voir la description d'A. Pontrandolfo, A. Rouveret et M. Cipriani, Les tombes peintes de Paestum, éd. Pandemos, Paestum, 2004.
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