Reviewed by Laurent Bricault, Université de Toulouse II-Le Mirail (bricault@univ-tlse2.fr)
La majorité des 11 contributions réunies dans cette publication est issue d'une rencontre organisée à l'Université de Rostock en novembre 2008. Le n° III porté par ce volume renvoie à deux autres ouvrages du même titre publiés respectivement en 1978 et 1998.1 Ce troisième opus se focalise sur le onzième et dernier livre des Métamorphoses d'Apulée, rédigées vers 170 p.C. L'ouvrage s'organise autour de six thèmes : le style et la construction du roman (Zimmerman et Nicolini) ; l'auto-représentation et la Seconde Sophistique (Egelhaaf-Gaiser et Harrison) ; la philosophie et la fiction (Graverini et Drews) ; la topographie et les déplacements (Tilg et Dowden) ; la réception de Plutarque chez Apulée (Van der Stockt et Finkelpearl) ; la présence de l'auteur dans une œuvre de fiction (Smith). M. Zimmerman se propose d'étudier les liens unissant plusieurs niveaux de lecture au travers de quelques exemples, dont celui de la tonsure des initiés, qu'il aurait été intéressant de confronter à ce qu'en disent les autres auteurs anciens et à mettre en rapport avec les supposées représentations de prêtres isiaques au crâne rasé. L. Nicolini s'interroge sur les jeux de mots apuléens du livre XI, pour constater qu'ils n'y sont pas moins présents que dans le reste du roman. U. Egelhaaf-Gaiser, dans l'un des meilleurs papiers du volume, montre combien complexe est l'image de Lucius—jusque dans ses représentations corporelles—et à quel point le « spectacle littéraire » mis en scène par Apulée livre une iconographie polysémique de son héros en parfaite adéquation avec les Selbstdarstellungen de la Seconde Sophistique. St. Harrison expose à nouveau ses arguments pour une interprétation satirique du roman. L. Graverini, partisan lui d'une interprétation comique du roman, reprend l'idée d'une opposition entre les livres I à X et le livre XI, ce dernier, fortement teinté de stoïcisme, apparaissant beaucoup plus sérieux. À la prudentia régulièrement énoncée dans les dix premiers livres répond, à la fin, la providentia, caractéristique majeure de la déesse. Fr. Drews oriente la réflexion vers le platonisme récurrent du roman d'Apulée, suggérant que la Destinée y est, au final, subordonnée à la Providence, ce qu'exprimerait la transformation, dans le livre XI, de l'âne philosophe en initié isiaque empreint de philosophie platonicienne. Pour St. Tilg, le Livre d'Isis est beaucoup plus léger qu'on ne le pense généralement et l'antagonisme savant entre « sérieux » et « comique » est un faux problème. Sur les plans rhétorique et littéraire, le récit, le discours d'Apulée ne se distingueraient guère d'œuvres similaires, qu'il s'agisse e.g. des Milesiaka d'Aelius Aristide ou de la Callirhoe de Chariton d'Aphrodisias.2 K. Dowden observe qu'au voyage horizontal qui mène Lucius de la Thessalie à Rome se superpose un voyage vertical, celui de l'élévation de l'âme vers le divin, impliquant non seulement Isis mais aussi Hélios et Mithra. L. Van der Stockt s'interroge sur les fils susceptibles d'être tissés entre Apulée et Plutarque. Malgré certains points de convergence (philologiques, philosophiques, généalogiques) bien connus, il faut se montrer très prudent tant la nature du De Iside et Osiride diffère de celle de l'Asinus Aureus, dans leur conception, dans leur analyse, dans leur présentation, dans leurs références, dans leurs objectifs, comme l'indique d'ailleurs chacun des deux auteurs dès le début de leur œuvre : l'un est un traité philosophique platonicien, l'autre le récit d'une expérience religieuse personnelle transcendante. E. Finkelpearl reprend cette distinction fondamentale pour approcher le rapport à l'Égypte chez Plutarque et Apulée. Elle remarque à juste titre que l'écrivain de Chéronée a tendance à vouloir domestiquer ce que le rhéteur de Madaure cherche au contraire à rendre exotique.3 Enfin, W. S. Smith (re)pose la question de l'introduction, à un moment donné, celui d'une vision onirique, de l'auteur lui-même dans un récit de fiction, en cherchant des parallèles dans les Actes des Apôtres ou les Canterbury Tales de Chaucer. La lecture de ce livre laisse à vrai dire le lecteur quelque peu perplexe, avec l'impression diffuse mais persistante que depuis trois décennies—au moins—les approches littéraires de l'œuvre n'ont guère évolué, suscitant les mêmes controverses, les mêmes points de vue plus ou moins inconciliables (entre satire, œuvre philosophique, récit comique, roman d'aventure et testament à clefs) et les mêmes impasses, faute d'avoir su intégrer ces analyses dans le champ plus vaste de la recherche historique. Sauf chez trois des contributeurs à ce volume (Egelhaaf-Gaiser, Finkelpearl et Graverini) et ce dans une certaine mesure, les études multiples menées depuis vingt ans sur les cultes isiaques, les rapports réciproques entre l'Égypte et Rome, les recherches en histoire des religions sont complètement ignorés. Comment, en 2012, est-il possible d'écrire sur un tel sujet sans utiliser et mentionner une seule fois, pour ne citer qu'eux, car la liste des oubliés dépasserait à elle seule le cadre de ce compte rendu, M. Malaise, J. Fr. Quack, J. Rüpke ou M. J. Versluys ? C'est vouer, assurément, les ouvrages de cette nature à s'auto-citer perpétuellement sans jamais dépasser un cercle d'initiés plus réduit que celui des dévots d'Isis. Ce qui est pour le moins regrettable. Concluons toutefois en saluant la haute qualité de production du volume, malgré de petites étourderies ici et là (p. 103 n. 52, Bricault-Veymiers date de 2007 et non 2008—la date est correcte p. 146 n. 3 et p. 224 dans la bibliographie ; Vout 2003, citée p. 193 n. 24, n'apparaît pas dans la bibliographie ; la SIRIS de L. Vidman est mentionnée deux fois dans la bibliographie p. 222 et p. 237, mais pas le RICIS publié en 2005, etc.).
Notes:
1. Aspects of Apuleius' 'Golden Ass'. Volume I: A Collection of original papers, ed. B.L. Hijmans Jr. and R.Th. van der Paardt, Groningen 1978 ; Aspects of Apuleius' Golden Ass. Volume II: Cupid and Psyche. A Collection of Original Papers, Groningen 1998.
2. Cf., entre autres, Br. Rochette, « Aelius Aristide, Lucien, Apulée : Trois témoins du sentiment religieux dans l'Empire romain au IIe siècle ap. J.-C. », que nul ne semble connaître.
3. Cf. M. J. Versluys, « Orientalising Roman Gods », in L. Bricault, C. Bonnet (ed.), Panthée. Religious Transformations in the Graeco-Roman Empire, Leiden 2013, p. 235-259.
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