Wednesday, November 20, 2013

2013.11.39

Pascal Payen, Evelyne Scheid-Tissinier (ed.), Anthropologie de l'Antiquité: anciens objets, nouvelles approches. Antiquité et sciences humaines, 1. Turnhout: Brepols Publishers, 2012. Pp. 441. ISBN 9782503546971. €80.00 (pb).

Reviewed by Martin Degand, Université Catholique de Louvain (martin.degand@uclouvain.be)

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[Les auteurs et les titres sont référencés à la fin du compte rendu.]

Les contributions de cet ouvrage collectif sont le fruit d'une collaboration entre deux instituts de recherche français : d'une part PLH-ERASME (Toulouse) qui s'intéresse à la réception de l'Antiquité et à l'anthropologie historique et d'autre part ANHIMA (Paris) dont les chercheurs s'orientent vers tous les domaines et toutes les périodes de l'histoire ancienne. Plus concrètement, ce volume fait suite à l'organisation de deux journées d'étude internationales qui se sont tenues à Toulouse en mars 2010. Ce livre constitue également le premier opus d'une nouvelle collection chez Brepols intitulée Antiquité et sciences humaines. La traversée des frontières, sous la direction de C. Bonnet de de P. Payen.

Comme l'indique É. Scheid-Tissinier à la p. 13 de l'introduction, les travaux réalisés tant par les chercheurs de Toulouse que de Paris « témoignent de la vitalité et du renouvellement dont ont bénéficié et continuent de bénéficier les perspectives anthropologiques ». Il est vrai que tant l'événement plus ponctuel que constitue la publication de ce volume que la création même de cette collection rendent compte d'un mouvement de fond dans l'étude de l'Antiquité : une ouverture franche et assumée vers d'autres disciplines afin de féconder le terrain antique. Dans le cadre du premier volume de cette nouvelle collection, le regard interdisciplinaire est dirigé vers les rapports entre Antiquité et anthropologie.

D'un point de vue général, les contributeurs à cet ouvrage collectif sont des scientifiques rompus à l'exercice interdisciplinaire auxquels ils participent. Ils sont bien souvent devenus des références dans le domaine. Il est à noter que la traversée des frontières à laquelle nous invitent les auteurs ne constitue en aucun cas une « interdisciplinarité de façade ». À d'innombrables reprises, les contributeurs n'hésitent pas à puiser à des recherches exclusivement marquées du sceau des sciences sociales. Un lecteur averti ne sera donc pas surpris de lire des références à des auteurs tels que C. Geertz, M. Mauss, J. Goody, M. Sahlins, V. Turner … Si l'ouverture interdisciplinaire est privilégiée en direction de l'anthropologie, E. Vallette n'hésite pas à élargir cette rencontre entre les savoirs en interrogeant la linguistique de l'énonciation. Cette ouverture est immanquablement la principale caractéristique de cette nouvelle collection.

En ce qui concerne les sujets abordés, ceux-ci se caractérisent par une grande diversité tant thématique que chronologique. Sont ainsi investigués tant les mondes grec et romain que phénicien et gallo-romain. L'intervalle temporel couvert est immanquablement large. Cependant, cette variété ne doit pas être comprise comme un éparpillement. Au contraire, de la lecture des contributions se dégage une impression générale de grande cohérence qui dépasse le particularisme des études spécifiques. Les articles se complètent harmonieusement. L'originalité des thématiques abordées se décline de deux façons : tantôt il s'agit d'adopter une approche originale de sujets connus, tantôt les thématiques elles-mêmes ont jusqu'ici été peu explorées.

Après une utile et dense introduction historique des relations complexes entre histoire de l'Antiquité et anthropologie, suivent douze articles répartis en trois grandes sections : échanges et transferts ; identités et représentations ; schémas culturels et modèles sociaux. De nombreuses contributions comportent des remises en question des concepts, anthropologiques ou non. Pour n'en citer que quelques-uns, sont ainsi investiguées des questions telles que celles du don, des rites de passages, d'identité religieuse, d'achat/vente ou encore de mœurs et de la guerre en passant par la notion de genre. Les divers articles se caractérisent par leur souci de mener une réflexion épistémologique pointue des concepts qu'ils mobilisent. À maintes reprises, les considérations théoriques sont illustrées à l'aide d'un ou plusieurs exemples. Cette structuration des contributions participe à la clarté du propos. Celle-ci est au service d'approches nuancées qui rendent justice à la complexité des réalités étudiées.

D'un point de vue formel, l'ouvrage est complété de plusieurs annexes utiles. En fin de volume, on trouve ainsi : une bibliographie, des synthèses/abstracts (en français et en anglais pour chaque contribution) ainsi que trois index (thématique, des auteurs, des noms). Toutes les contributions sont en français à l'exception de celle de N. Purcell. La présence de synthèses bilingues participe à une orientation aisée du lecteur parmi les articles. La bibliographie, quant à elle, a été intelligemment pensée : elle prend la forme d'une bibliographie d'orientation, tout en reprenant l'essentiel des références bibliographiques citées au cours de l'ouvrage. Elle est également à l'image des objectifs de la collection : elle invite à la « traversée des frontières ».

En conclusion, nous souhaitons souligner le plaisir que nous avons pris à la lecture de cet ouvrage. L'interdisciplinarité qui y est à l'œuvre est pleine et entière : cela concourt certainement à la pertinence et à l'originalité de l'entreprise scientifique. L'ensemble du livre est donc construit autour d'un projet cohérent. Nous en recommandons vivement la lecture à toute personne intéressée à mettre l'Antiquité au risque de l'anthropologie. Nos propres recherches, inscrites dans un tel élan interdisciplinaire, ont été grandement enrichies par ce livre collectif. Nous attendons dès lors avec intérêt les prochains volumes de cette collection (qui est/sera également ouverte aux monographies ?). Pour reprendre une expression de V. Sebillote Cuchet (p. 401), cet ouvrage nous semble certainement contribuer à l'éclosion d'une « nouvelle anthropologie de l'Antiquité ».

Table des matières

Évelyne Scheid-Tissinier, Introduction 7
Échanges et transferts
Vincent Azoulay, Du paradigme du don à une anthropologie pragmatique de la valeur17
Ton Derks, Les rites de passage dans l'Empire romain : esquisse d'une approche anthropologique 43
Nicholas Purcell, Quod enim alterius fuit, id ut fiat meum, necesse est aliquid intercedere (Varro). The Anthropology of Buying and Selling in Ancient Greece and Rome: An Introductory Sketch 81

Identités et représentations
Corinne Bonnet, Lorsque les « autres » entrent dans la danse. Lectures phéniciennes des identités religieuses en contexte multiculturel 101
Pauline Schmitt Pantel, Les mœurs des Grecs : histoire, anthropologie et politique 121
Violaine Sebillotte Cuchet, Touchée par le féminisme. L'antiquité avec les sciences humaines 143
Maurizio Bettini, Entre « émique » et « étique ». Un exercice sur le Lar familiaris 173

Schémas culturels et modèles sociaux
Pascal Payen, Sur la violence de guerre en Grèce ancienne. Anthropologie, histoire et structure 201
Adeline Grand-Clément, Poikilia. Pour une anthropologie de la bigarrure 239
Évelyne Scheid-Tissinier, Du bon usage des émotions dans la culture grecque 263
Emanuelle Valette, La voix des monuments, l'écriture du carmen : l'élégie romaine entre histoire, littérature et anthropologie du monde romain 291
Andreas Wittenburg, Antiquité et anthropologie en Allemagne : Eduard Meyer et après 323

Bibliographie 343
Synthèses / abstracts 377
Index thématique 431
Index des auteurs 435
Index des noms 439

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