Reviewed by Sarah Rey, Université de Toulouse II (sarah-rey@hotmail.fr)
Au sein de la bibliographie bodinienne, la Methodus ad facilem historiarum cognitionem (1566, 2e éd. 1572) demeure moins connue que les Six livres de la République, malgré la parution – il y a presque vingt ans – de l'ouvrage de M.-D. Couzinet.1 Il manque encore une édition critique satisfaisante de ce livre écrit à la fin de la Renaissance et très riche d'enseignements. La Methodus témoigne d'un certain état des sciences politique, historique et philologique dans la seconde moitié du XVIe siècle : dès lors, l'usage que fait Jean Bodin (1529-1596) de l'historiographie ancienne et moderne mérite d'être précisément mis à l'examen. C'est l'ambition de cet ouvrage, qui résulte de plusieurs séminaires tenus à l'Université catholique de Milan. Après une très courte présentation (G. Zecchini), cette étude commence in medias res, par une belle analyse d'Alessandro Galimberti consacrée à l'historiographie juive, que Bodin connaît remarquablement, même si sa maîtrise de l'hébreu est imparfaite. La Bible et le Talmud sont souvent pris en considération dans la Methodus, qui fait aussi cas d'auteurs juifs de langue grecque (Flavius Josèphe et Philon d'Alexandrie au premier chef). Ainsi, Bodin prend part de loin en loin au débat sur la Respublica Hebraeorum, tendant à chercher du côté de l'histoire juive un modèle politique et religieux. Federicomaria Muccioli se penche, pour sa part, sur les historiens grecs que Bodin lit, cite et classe. Hérodote est, comme souvent, vilipendé, tandis que Thucydide passe pour le vrai père de l'Histoire. Diodore et Strabon se distinguent in moribus populorum et regionum varietate ; Denys d'Halicarnasse, Plutarque, Zonaras, Dion Cassius, Appien in urbana disciplina ; d'autres s'illustrent dans les récits militaires, et certains savent tout faire, c'est-à-dire tout raconter. Puis les historiens romains (Polybe y compris) sont envisagés par Maria Teresa Schettino, dont l'approche se révèle très pertinente : parmi tous les auteurs réunis dans cet ouvrage, elle est la seule à offrir des statistiques de citations établies d'après une lecture minutieuse de la Methodus. Les chiffres obtenus sont commentés et contextualisés. Ainsi, la récurrence des mentions de Velleius Paterculus pourrait renvoyer à son actualité éditoriale dans les cercles humanistes bâlois. Quant à Tacite (celui de La Germanie par-dessus tout) – 60 fois cités, 38 fois dans les chapitres les plus strictement méthodologiques –, il suit de près Polybe dans l'échelle de valeurs conçue par Bodin. Les historiens de l'Antiquité tardive sont pris en main par G. Zecchini. Ammien, qui reçoit le titre d'optimus et Procope, verissimus, apparaissent comme les deux plus grandes figures de cette historiographie tardive. Le contexte dans lequel la Methodus a été rédigée conserve toujours son importance : la première comme la deuxième édition précèdent l'Apologie pour Zosime (1576) de Löwenklau, d'où le peu d'égard fait à cet historien. Le chapitre de Paolo Desideri (« Popolo antichi e moderni nella Methodus di Jean Bodin ») n'est pas inédit,2 mais il a bien sûr toute sa place ici. Le critère national est en gestation dans l'historiographie renaissante, c'est ainsi que bien des passages de la Methodus reviennent à la question des ethnogenèses. La théorie des climats, dans la veine hippocratique, est discutée par Bodin, qui s'intéresse aussi aux origines troyennes du peuple français (contre Etienne Pasquier qui, dans ses Recherches de la France, en abandonnait l'idée) et aux différentes colonisations – anciennes, médiévales et modernes – dont Bodin propose une taxinomie. Michaela Valente considère la place réservée aux historiens contemporains de Bodin dans la Methodus. Machiavel y occupe une place de choix : son dialogue imaginaire avec Thucydide sert à souligner les dangers de la rhétorique. Et puis il y a les historiographes-repoussoirs, ceux qui n'aspirent pas à la neutralité dans l'exposition des faits, à l'image de Paul Jove, incarnation de cette histoire « serve » que Bodin conspue. Pour finir, Igor Melani offre un portrait bien documenté de Jean Bodin, qui aurait pu constituer un chapitre liminaire. Humaniste, acteur des querelles entres écoles juridiques, Bodin voit sa carrière contrariée à la disparition de son protecteur (le duc d'Alençon). Dans sa retraite à Laon, il subit un procès où il est accusé de machiavélisme et de sympathie huguenote, lui dont les ouvrages sont effectivement très en faveur auprès du lectorat protestant. On entrevoit dans ce chapitre une figure attachante de savant et de penseur, qui voulait placer l'histoire au-dessus de la philosophie, comme il le proclame dans son prologue de la Methodus. En définitive, cette entreprise collective met parfaitement en lumière l'œuvre d'un auteur qui « tient » le genre historiographique par les deux bouts du temps, car Bodin sait jongler entre les époques et peut facilement passer de la Bible aux livres de Mercator, de César à John Foxe et Pietro Bembo. Le succès de la Methodus, qui – entre le XVIe et le XVIIe siècle – connaît en moyenne une édition tous les six ans et demi, doit se comprendre ainsi : par son caractère de réflexion synthétique entre l'Antiquité et le présent. Chaque chapitre est suivi d'un résumé en anglais. Une bibliographie générale vient compléter l'ouvrage.
Notes:
1. M.-D. Couzinet, Histoire et méthode à la Renaissance. Une lecture de la Methodus de J. Bodin, Paris, 1996.
2. Il est paru dans Antidoron. Studi in onore di Barbara Scardigli Forster, Pisa, 2007.
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