Reviewed by Sandra Péré-Noguès, Université Toulouse II (perenog@univ-tlse2.fr)
Cette étude des dépôts monétaires siciliens hellénistiques est le fruit d'une enquête menée dans divers musées de Sicile depuis "cinque lustri" comme le signale G. Manganaro dans sa préface, et concrétisée par plusieurs séjours à Munich soutenus par l'Alexander von Humboldt Stiftung. L'objectif affiché par l'auteur est ambitieux : proposer une interprétation historique "globale" qui prenne en compte l'ensemble des sources historiques, qu'elles soient textuelles, épigraphiques ou numismatiques. L'auteur s'inspire dans sa démarche de l'étude de F. de Callataÿ sur les monnayages des guerres mithridatiques parue en 1997. G. Manganaro a établi un corpus de 81 dépôts dont l'enfouissement s'échelonne entre 215 avant J.-C. et 14 après J.-C., corpus qui lui permet de définir neuf phases monétaires. Pour expliquer ces diverses phases, il a pris soin, en introduction de chaque chapitre, de rappeler le contexte historique en recourant à l'ensemble des documents disponibles. Pour beaucoup de dépôts, il essaie d'en donner le contexte d'enfouissement aussi bien du point de vue chronologique que du point de vue interprétatif, l'objectif étant de comprendre pourquoi et qui a pu, à un moment historiquement déterminé, décider de l'enfouissement. Tout au long de son étude, G. Manganaro suit de près la chronologie induite par l'analyse de M. Crawford dans les RRCH tout en jetant un regard – souvent critique – sur les récents travaux réalisés par ses collègues siciliens, notamment l'équipe réunie autour de Caccamo Caltabiano à Messine (p. 13). Un premier chapitre (p. 17-22) est consacré à une réflexion sur le problème de la thésaurisation en temps de paix et de guerre. L'auteur émet des réserves sérieuses sur les études qui formalisent un état de la circulation monétaire en Sicile à partir des trésors. Selon lui, il faut prendre en compte d'autres critères comme leur situation géographique (villε/campagne ; littoral/ montagne) et éviter toute généralisation. De la même manière, il se montre très sceptique sur les calculs parfois réalisés des volumes d'or et d'argent en circulation (p. 21-22). Les chapitres suivants déclinent les différentes phases monétaires que G. Manganaro cherche à définir. Une première phase (chapitre II : p. 23-42) est évidemment liée aux guerres puniques, et l'auteur souligne d'une part les liens étroits entre Syracuse et l'Egypte (depuis Agathocle) tels qu'ils se manifestent dans le monnayage, d'autre part les questions que soulève l'émission du quadrigat qu'il abaisse vers 215 à l'aide des émissions des Libyens. Pour cette période, l'auteur reprend l'analyse de 48 dépôts dont les émissions sont d'origine siciliote, punique et romaine, en particulier les "oro marziale". Une deuxième phase (chapitre III : p. 43-50) correspond à la période de prospérité de la Sicile, marquée notamment par les statuts accordés à certaines cités comme Halaisa et Tauroménion. Seuls six dépôts sont liés à cette période dont une majorité contient des émissions de bronze. La troisième phase (chapitre IV : p. 51-59) est beaucoup plus complexe puisqu'elle s'inscrit dans la révolte servile d'Eunous pour lequel G. Manganaro avait signalé en 1990 un unicum, un statère d'or découvert dans la région de Messine. L'auteur associe deux trésors de deniers républicains à cette période, trésors enfouis probablement par quelques Syracusains victimes des incursions des révoltés. Une quatrième phase monétaire (chapitre V : p. 61-71) correspond au second soulèvement servile qui éclate en 118 et perdure jusqu'en 100 avant notre ère (révolte de Salvius-Tryphon et Athénaion). L'auteur identifie cinq trésors liés à cette phase, dont celui de Casalini Sottani (Rip. LIX), qui serait le trésor formé sur trois générations d'une famille de producteurs de blé. Dans tous les cas, ces trésors seraient des dépôts faits dans une période de vive agitation consécutive aux razzias des bandes serviles dans la campagne. Plus intéressante est la présence de monnaies provenant de la colonie de Narbonne (monnaies Narbo Martius), qui attestent les relations entre la Sicile et la Gaule aussi bien commerciales qu'humaines. Les trois dernières phases de cette histoire monétaire ont partie liée avec les crises politiques de la République romaine. En premier lieu, l'auteur évoque la guerre entre Marianistes et Syllanistes (chapitre VI : p. 73-91) ; pour la période entre 90 et 46 avant J.-C. qui correspond aux phases monétaires 5-7, il suit encore fidèlement la chronologie de M. Crawford. Un intermède (chapitre VII : p. 93-104) correspond à l'aventure de Sextus Pompée, fils du grand Pompée, qui trouva sur les terres siciliennes un refuge et une base pour ses menées bellicistes contre le second triumvirat. Parmi les cinq trésors recensés, deux offrent un intérêt particulier : le trésor (Rip. LXXV)1 qui serait celui d'un soldat pompéien ; le trésor de Messine (Rip. LXXVII)2 dont l'état reflète la circulation monétaire de l'époque comme le montre l'épave retrouvée au large du Capo Rasocolmo. Enfin, la dernière guerre civile entre Marc Antoine et Octave clôt cette tentative de périodisation (chapitre VIII : p. 105-115). L'auteur y étudie l'un des derniers « grands » trésors de l'île qui fut découvert à Bagheria (province de Palerme) et comportait 318 deniers (Rip. LXXXI). Ce trésor recèle des monnaies d'Espagne et de Lyon, et pour l'auteur, il serait peut-être à mettre en relation avec les activités d'un banquier romain. Des annexes complètent l'analyse : une carte de l'île, des photographies de trésors en l'état et 41 planches monétaires d'assez bonne qualité. Mais on peut regretter que l'auteur ait pris l'option d'établir une nouvelle liste des 81 trésors qui n'est pas rappelée sous forme de tableau, ni mise en concordance avec l'inventaire de Crawford. Le principal apport de l'ouvrage tient à la présentation exhaustive de chaque trésor du corpus mais aussi aux interprétations de l'auteur qui susciteront certainement des commentaires. Dans tous les cas, l'ouvrage de G. Manganaro sera utile à tous les numismates et les historiens désireux de replacer certains documents dans un contexte chronologique parfois un peu complexe comme l'est celui de la Sicile des premiers temps romains.
Notes:
1. RRCH 410.
2. Il est aujourd'hui conservé au Musée de la ville (Inv. 4953).
No comments:
Post a Comment
Note: Only a member of this blog may post a comment.