Reviewed by Frédéric Le Blay, Université de Nantes (frederic.le-blay@univ-nantes.fr)
[The Table of Contents is listed below.] Il est des œuvres ou des corpus dont la lecture démontre que, contrairement à certaines apparences ou idées reçues, la littérature de l'Antiquité classique n'est pas un champ clos, entièrement balisé et reconnu, qui ne laisserait presque plus de place à la découverte. La littérature astrologique, et notamment celle qui fut élaborée en vers, est de ceux-là. Au même titre que les autres corpus relevant des sciences, des techniques et de la connaissance en général, elle reste, pour le spécialiste de l'Antiquité, un domaine dont l'exploration offre encore une grande latitude pour des études et des travaux qui viendront enrichir et renouveler notre connaissance des mondes grec et romain. Ce volume de 258 pages réunit les exposés présentés au colloque international organisé en décembre 2007 à Lyon. Il constitue aussi un hommage à Josèphe-Henriette Abry, organisatrice de cette rencontre, décédée quelques mois après la tenue du colloque. Cette disparition explique le délai pris pour assurer la publication des actes. À travers les contributions rassemblées, l'ouvrage embrasse un corpus divers allant du IIe siècle av. J.-C. à la période byzantine (XIIe siècle). À l'exception de l'exposé liminaire de J.-H. Abry, chaque contribution est consacrée à un seul auteur, représentant du genre. Ainsi, l'un des principaux mérites de ce recueil est sa dimension anthologique : à travers la lecture de cette série d'exposés, le lecteur passe en revue les principaux textes constitutifs du genre, dans une perspective qui s'approche de l'exhaustivité. Même si certaines études adoptent un angle ou une thématique spécifique, le propos et les problématiques traitées adoptent un caractère descriptif qui permet au lecteur de s'approprier le corpus concerné. Le volume réussit donc le double pari d'être un ouvrage dans lequel le spécialiste de l'astrologie ou de la poésie trouvera des éléments d'analyse pointus et bien documentés et une introduction didactique à des sources dont l'abord est a priori délicat. L'état des lieux initial de J.-H. Abry a ceci d'indispensable qu'il présente les principaux enjeux relatifs à un corpus en grande partie redécouvert. Il pose l'ouvrage comme la première synthèse sur le sujet essayant d'embrasser l'ensemble du genre et se veut un état synthétique de la question destiné à inspirer de nombreux travaux. Ce qui rend la littérature astrologique grecque difficile à circonscrire dans tous ces aspects et constituants est le fait qu'elle a essaimé dans de nombreuses traditions : ainsi la Yavanajtāka, poème sanskrit du IIIe siècle ap. J.-C., reprend un manuel grec du IIe siècle ; de même la tradition arabe puise abondamment dans ce corpus. Les textes constitutifs de cet ensemble ont relativement peu circulé en dehors d'un public restreint; ils furent en outre constamment retravaillés et recomposés, paraphrasés par les astrologues. Cette présentation démontre la difficulté de l'étude: « L'histoire des poèmes astrologiques est donc parmi les plus ardues des littératures antiques » (p. 10). Un des points mis en évidence dans cet état des lieux nous paraît fondamental et mérite d'être commenté car il touche à une question qui dépasse le cadre de la seule science astrologique. J.-H. Abry insiste en effet sur un point de chronologie en indiquant que le Ier siècle ap. J.-C. constitue le temps fort de la poésie astrologique antique. On sait que la même période voit fleurir en milieu romain les grandes compilations à caractère encyclopédique (Vitruve, Celse, Pline, le Sénèque des Naturales quaestiones, etc.), témoignage d'un intérêt généralisé des contemporains pour les savoirs et les sciences. L'influence marquée de la philosophie stoïcienne au sein des milieux aristocratiques a aussi contribué à cette valorisation de la curiosité scientifique; en outre, la question de la divination – qui touche de près à l'astrologie – restait un problème débattu parmi les stoïciens. Il faut notamment situer le grand poème de Manilius par rapport à cet enjeu doctrinal. Nous estimons donc que c'est le contexte intellectuel de l'époque qui a pu encourager la production de ces poèmes astrologiques. Bien qu'ils constituent un genre un peu particulier, réservé, comme J.-H. Abry le rappelle, à un public restreint, ils ne doivent pas pour autant être isolés de leur environnement culturel. Dans une contribution dont la documentation et l'érudition méritent d'être notées, S. Heilen s'intéresse à la « Bible de l'astrologie » des Anciens attribuée au roi Nechepsos et au sage ou prêtre Petosiris, tous deux égyptiens comme leur nom l'indique sans ambiguïté. Il considère que ce texte (dont il faut situer la composition entre le IIe et le Ier siècles av. J.-C.) est sans doute l'œuvre d'un auteur grec car les fragments préservés, composés en grec, supposent une bonne connaissance des auteurs dramatiques classiques et s'appuient sur des éléments tirés de la physique, des mathématiques et de l'astronomie grecques. Mais il note justement la difficulté qu'il y a à distinguer entre égyptiens et grecs à partir du IIe siècle. Des découvertes récentes de fragments en démotique permettent désormais de conclure à un fonds antérieur égyptien. Interrogeant les conditions de l'attribution de ce texte, Heilen renvoie, à partir d'éléments probants, au roi Necho II (610-595) et à son contemporain Petesis. L'étude des Anthologiae de Vettius Valens (v. 175 ap. J.-C.), qui reprend de nombreux éléments de ce texte permet à Heilen d'arriver à la conclusion selon laquelle le poème aurait été composé en mètres iambiques. Il subsiste en revanche une question que les fragments ne permettent pas de trancher : le manuel original était-il entièrement composé en vers ou reposait-il sur une alternance entre prose et mètres? Les fragments conservés en prose sont souvent une paraphrase et laissent la question difficile à trancher. Heilen observe en revanche que Nechepsos et Petosiris ne sont jamais loués comme poètes par leurs citateurs ; seul Aëtius appelle l'un des deux poète. Dans sa compilation, Valens cite littéralement des passages d'Homère, de Cléanthe et d'Orphée mais ne le fait jamais pour ces deux auteurs. L'enquête sur cette première source doit donc être poursuivie, entreprise à laquelle Heilen semble vouloir se livrer si l'on en croit ses remarques conclusives. À travers l'article qu'elle consacre aux Astronomica de Manilius, J.-H. Abry, met en évidence le fait que cet auteur représente un cas exceptionnel : au sein de ce corpus, il est le seul auteur de langue latine et le plus ancien à l'exception du manuel de Nechepsos et Petosiris. De plus, le système astrologique qu'il développe est essentiellement zodiacal alors que les autres traités envisagent les planètes. Le prologue du chant I témoigne d'emblée d'une astronomie ancienne et approximative, inspirée d'Aratos. La chorographie zodiacale (application de l'astrologie aux peuples), accompagnée de notations ethnographiques, constitue un enjeu important de ce traité. Nous citons ces remarques conclusives de J.-H. Abry, qui résument bien la nature du poème de Manilius: « Sa méthode est claire: à l'astrologie planétaire qui existait dès ce moment là et qui figurait, associée aux paranatellonta, dans sa source, il a préféré un système d'où les planètes sont absentes pour ne garder que les paranatellonta qui offrent des possibilités semblables pour les pronostics, mais reposent sur des images et un contenu mythique qui leur confère une valeur universelle. » (p. 109) Manilius est pour elle l'astrologue qui a le moins de connaissances techniques mais aussi celui dont l'œuvre doit être lue et comprise selon une perspective qui dépasse le seul savoir astrologique. W. Hübner revient sur les cinq livres composés à l'époque de Néron et attribués à Dorothée de Sidon. La transmission et l'ecdotique de ce poème didactique sont fort compliquées, s'agissant, comme c'est généralement le cas pour ce domaine de la connaissance, d'une littérature réutilisée et sans cesse renouvelée, soumise à une succession d'altérations. On en retrouve des hexamètres grecs originaux cités par Héphestion de Thèbes (2ème moitié du IVe siècle), plusieurs paraphrases grecques en prose, des paraphrases en prose latine par Firmicus Maternus, des citations latines dans la traduction compilée du Liber Hermetis (Xe siècle), une importante paraphrase en langue arabe d'après une version du poème en langue pahlevi (médio-persane) du IIIe siècle (800 ap. J.-C.) et Hübner d'observer que d'autres textes en langue arabe pourraient apparaître. Fondé sur l'étude de quelques éditions successives, l'exposé est concis et se concentre sur quelques points choisis, en particulier les signes zodiacaux. On appréciera ce choix didactique qui donne un aperçu plaisant de ce texte, renforcé par la présence d'illustrations originales et de schémas. C. Wolff concentre son propos sur le livre 5 de ce même texte, relatif aux catarchai, genre à part entière de la littérature astrologique consistant à passer en revue les réponses que les astrologues doivent pouvoir fournir à leurs clients lorsqu'ils viennent les consulter sur l'opportunité d'accomplir une action (achat, vente, construction, mariage, voyage, etc.) ou pour connaître l'issue d'un vol ou d'une maladie. Traitant du vol et des voleurs, elle passe en revue, de manière descriptive et typologique, le contenu du long chapitre 35 de ce dernier livre. À propos des portraits de voleurs, C. Wolff a raison d'invoquer l'influence de types dus aux représentations sociales et culturelles du temps. On doit cependant regretter le fait que le propos, uniquement centré sur le corpus choisi, en reste sur cette question à l'énoncé d'une hypothèse très probable, sans poursuivre l'enquête au-delà, alors que la simple comparaison avec un corpus bien connu, celui des traités de physiognomonie—savoir qui connaît, au même titre que l'astrologie, une grande fortune au Ier siècle—aurait permis de dresser des parallèles riches de sens. En ce sens, nous pensons que l'exposé passe à côté de ce qui pouvait constituer l'intérêt du thème étudié. C. Cusset étudie les chants 2, 3 et 6 du poème attribué à Manethon pour y déceler l'influence d'Aratos. À propos du modèle comme de son émule, l'influence hésiodique est relevée, notamment du point de vue de la structure énonciative du discours didactique, qui consiste en la parole d'un maître adressé à un élève. Toutefois le texte de Manéthon, qui ne comporte ni invocation initiale ni hymne préliminaire, et qui ne désigne pas non plus de destinataire, prend l'allure d'un discours plus ecphrastique que didactique. Manéthon joue ainsi des échos et des écarts avec son modèle, à la manière alexandrine. E. Calderón propose une étude métrique du poème d'Anubion de Diospolis (Ier siècle ap. J.-C.), à travers laquelle il met en évidence une particularité notable: le distique élégiaque prévaut alors que l'hexamètre épique est normalement le vers didactique. Selon lui, il faut voir dans ce choix l'indication d'une lutte entre tradition et innovation. A. Pérez Jiménez s'intéresse aux vers (115 conservés) attribués à un certain Antiochos par son compilateur Albumasar- Palchos (Catalogus Codicum Astrologorum Graecorum, 1898). Il relève que la question de l'ordre des planètes est intéressante pour situer les textes astrologiques au sein de la tradition. Il note également, à l'instar d'autres contributions du volume, l'influence sensible de la poésie épique d'Homère et d'Hésiode. Enfin, il met en évidence ce qui constitue sans doute aspect commun à l'ensemble de ces textes, le balancement constant entre recherche des archaïsmes et création de néologismes. I. Boehm, spécialiste des traités médicaux, porte son regard de spécialiste sur cet autre corpus savant, en partant de l'exemple de Maximus, où la maladie est souvent évoquée. Elle constate que le vocabulaire nosologique y est peu spécialisé. Selon elle, le registre de la poésie alexandrine, qui est ici à l'œuvre, semble empêcher l'excès de spécialisation. L'importance des termes homériques, souvent génériques et imprécis quant au corps, vient renforcer cette caractéristique. Nous pensons que le principe même de cette analyse, consistant à s'intéresser à la présence d'un savoir au sein d'un corpus relevant d'un autre domaine du savoir, est des plus pertinents lorsqu'il s'agit d'étudier les relations que les différents champs de la connaissance pouvaient entretenir les uns par rapport aux autres. Son application étendue permettrait non seulement de mieux évaluer le degré d'érudition des représentants de tel ou tel savoir et de répondre surtout avec une plus grande précision aux questions génériques portant sur le lectorat et les finalités visés par un corpus donné. À propos du même poème, P. Radici Colace étudie les liens existant avec la poésie orphique. Enfin, S. Feraboli présente une introduction à l'astrologie en 4 107 vers datant du XIIe siècle, due à Jean Camatère, qui n'est autre qu'un montage réalisé à partir de sources diverses. En cela, ce texte est un bon exemple d'une des tendances de l'érudition byzantine.Table des matières
« Le cercle des poètes disparus… État de la question », J.-H. Abry, p. 7-21.
« Some metrical fragments from Nechepsos and Petosiris », S. Heilen, p. 23-93.
« La place des Astronomiques de Manilius dans la poésie astrologique antique », J. H. Abry, p. 95-114
« Dorothée de Sidon : l'édition de David Pingree », W. Hübner, p. 115-133.
« Du vol et des voleurs chez les poètes astrologiques », C. Wolff, p. 135-154.
« Poésie et astrologie : l'influence d'Aratos sur le poème attribué à Manéthon », C. Cusset, p. 155-165.
« Étude métrique de l'hexamètre dans le Carmen astrologicum d'Anubion », E. Calderón, p. 167-180.
« Poésie et astrologie chez Antiochos », A. Pérez Jiménez, p. 181-191.
« Astrologie et médecine ancienne : la description des maladies dans le Peri Katarchon de Maximus, un exemple d'écriture poétique ? », I. Boehm, p. 193-207.
« Le Katarchai di Massimo, dall'officina dell'autore alle riscritture bizantine », P. Radici Colace, p. 209-215
« Spunti di un catalogo stellare in un poeta bizantino », S. Feraboli, p. 217-226.
Index des sources littéraires, p. 227-232.
Index des notions, p. 233-256 (et noms de personnes et de lieux).
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