Reviewed by Catherine Wolff, Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse (catherine.wolff@univ-avignon.fr)
Le colloque de Tours de 2007 devait au départ susciter une réflexion sur les concepts de pratiques et d'identités culturelles dans les armées présentes tout autour du bassin méditerranéen entre 232 et 31 a.C. La notion de transfert culturel a été ajoutée, et les trois grandes parties du livre sont le reflet des trois axes privilégiés : Identités (p. 17-163) ; Pratiques (p. 165-265) ; Transferts (p. 267-370). Une bibliographie et un index complètent utilement l'ouvrage. I, 1. « "Le rôdeur devant le seuil" », de S. Bourdin (p. 19-34) estime qu'il faut nuancer le témoignage des auteurs antiques dépeignant de façon dramatique les relations des cités d'Italie ou de Sicile avec des groupes armés étrangers, gaulois ou italiques. Il est toujours dangereux d'accueillir des mercenaires sur son territoire, mais employer ou installer des troupes allogènes sur son territoire est un phénomène habituel en Italie, pour ne pas dire structurel. La société de l'Italie républicaine est le plus souvent une société multi-ethnique. 2. « Une cité crétoise à l'épreuve d'une garnison lagide : l'exemple d'Itanos », de D. Viviers (p. 35-64) constate que, dans cette cité depuis longtemps ouverte aux influences extérieures, l'installation de la garnison lagide n'a pas marqué de rupture importante. L'élite a même pu mettre en avant son commerce avec les milieux alexandrins pour renforcer son prestige. Le poids économique lié à la présence de cette garnison ne doit pas être exagéré. Bien au contraire, la garnison a favorisé le développement et l'ouverture d'Itanos. Après son départ, on assiste à une sorte de « repli identitaire », réaction à l'ancienne présence étrangère ou résultat d'une situation de crise liée au départ de la garnison. 3. « The Local Self-Defense in a Greek Federal State », de J. Rzepka (p. 65-73), analyse l'organisation militaire des cités membres de la confédération étolienne à travers le traité conclu entre Myania et Hypnia, traité qui règle leurs obligations militaires réciproques. Ce traité n'a pas été conclu au moment où ces deux cités étaient indépendantes, mais pendant qu'elles étaient rattachées à la confédération étolienne. Il fait apparaître deux types de soldats, les stratiotai, des soldats à proprement parler, et les chorophylakeontes, une milice locale, que l'auteur compare aux peripoloi. 4. « Neocretans », de N. Sekunda (p. 75-85), s'intéresse aux soldats appelés Néocrétois, qui apparaissent dans les récits à côté de soldats crétois. Ce terme de Néocrétois, qui n'est utilisé qu'entre 218 et 190, au moment où des troubles politiques impliquant des neoi se produisent en Crète, désigne une unité de neoi crétois exilés au moment de ces troubles. 5. « Les Thraces dans les armées hellénistiques », de D. Dana (p. 87-115), utilise les résultats d'une recherche visant à constituer un nouveau répertoire des noms thraces pour étudier le territoire de recrutement des Thraces présents dans les armées hellénistiques ainsi que leur mobilité sociale et leur participation à la fondation de cités séleucides. Les Thraces dont la descendance est attestée de façon massive en Égypte et en Asie Mineure, où ils occupent souvent une position importante, ont été recrutés par Alexandre en Macédoine orientale plutôt qu'en Thrace proprement dite. Ils ne sont donc pas recrutés pour leurs qualités « raciales », puisqu'il s'agit d'un recrutement sur le territoire macédonien. Le schéma du recrutement des soldats thraces est plus complexe par la suite, mais il s'agit toujours d'une population qui vit sur des territoires aux confins des cités grecques. 6. « Les Celtes dans les guerres hellénistiques », de A.-M. Adam et S. Fichtl (p. 117-128), part de l'invasion de la Grèce en 279 a.C., qui provoqua un véritable traumatisme et fixa durablement l'image des Celtes en Méditerranée orientale, établissant ainsi une différence entre le barbare celtique et les autres guerriers de la Méditerranée hellénistique. Il y a là cependant un décalage par rapport à la place réellement occupée par les Celtes, en particulier en Égypte. Les mercenaires galates, même s'ils ont toujours conscience de leur origine ethnique, cherchent en effet à s'intégrer aux autres mercenaires résidant à Alexandrie, ainsi qu'à la société locale. 7. « Cartagine e i misthophoroi », d'A. C. Fariselli (p. 129-146), s'intéresse au recrutement par Carthage de ses mercenaires, à ce qu'il advient des mercenaires après leur congé (dons de terre, ce qui leur permet de participer à un réseau de surveillance militaire du territoire) et à la présence de l'armement punique en Sicile. 8. « Réflexions sur le mercenariat en Sicile et dans le monde grec occidental (du milieu du IVe s. au début du IIIe s. a.C.) », de S. Péré-Noguès (p. 147-163), étudie d'abord les chefs de guerre étrangers, appelés à tort condottieri, en prenant l'exemple de Tarente, qui a eu recours de façon systématique, comme d'autres cités grecques occidentales, au mercenariat. L'analyse des monnaies frappées par Agathocle et Carthage, alors en conflit, montre ensuite que l'iconographie monétaire est influencée par la pratique du mercenariat. II, 1. « The lonchophoroi horsemen in the Hellenistic period », d'A. Nefedkin (p. 167-175) cherche à définir la nature des lonchophoroi mentionnés par Arrien en 4, 2-4. Ce sont des cavaliers mèdes appartenant non pas à la cavalerie lourde, mais à la cavalerie légère, qui sont désignés ainsi. 2. « Découverte de nouveaux "boucliers macédoniens" en Pélagonie (République de Macédoine) », de P. Juhel et D. Temelkoski (p. 177-191) montre qu'il s'agit de boucliers d'époque hellénistique dont la surface est constituée d'une feuille de bronze décorée d'orbes et d'étoiles. Ces boucliers, fabriqués dans ses arsenaux, ont été distribués par Démétrios Ier à des soldats pélagoniens (la Pélagonie appartenant à l'époque hellénistique à la Macédoine) au moment où il envisageait de reconquérir l'ex-empire antigonide en Asie en 290-287. 3. « Mercenaires galates d'Antigonos Gonatas », d'A. Noguera Borel (p. 193-202), utilise à la fois les sources littéraires et les sources numismatiques pour calculer le nombre de mercenaires galates engagés par Antigone Gonatas. Ils étaient plus de 11 000. L'immigration totale des Galates en Grèce dans le premier quart du IVe siècle fut supérieure à 400 000 personnes. 4. « La carrière militaire d'Apollonios fils de Glaukias (UPZ I, 14-16) », de B. Legras (p. 203-211), présente, à partir des archives des katokhoi, les reclus du Sarapieion de Memphis, la carrière d'un fils de militaire. Cette carrière illustre bien la crise du recrutement de l'armée des Ptolémées au IIe siècle av. J.-C. : les éléments grecs de la population ne veulent plus s'enrôler. Cette crise aboutit au recours de plus en plus important à des troupes égyptiennes. 5. « La mémoire des faits d'armes dans les cités d'Asie Mineure à l'époque hellénistique », de T. Boulay (p. 213-225), revient sur l'épigramme figurant sur le polyandrion de Milet. Comme l'épigramme-dédicace concernant le Milésien Lichas, elle date de la fin du IIIe siècle. La cité commémore alors son passé glorieux à travers les citoyens qui se sont illustrés à son service. Le polyandrion se trouvait sans doute non loin du bouleutèrion, un lieu de mémoire important. 6. « Des Grecs au service des imperatores romains », d'A. Heller (p. 227-244) étudie quatre Grecs qui se mirent au service d'un imperator pendant les guerres civiles et s'interroger sur la dynamique des représentations identitaires induites par les contacts entre les Grecs et les Romains. L'obtention de la citoyenneté romaine n'oblige pas à renoncer au lien avec sa communauté d'origine, puisque la nouvelle citoyenneté permet de devenir un médiateur privilégié entre le pouvoir romain et sa cité. 7. « L'armée romaine des Gaules en 52 a.C. Et de la nudité des Gauloises », de Y. Le Bohec (p. 245-265), s'intéresse à l'organisation ainsi qu'à la stratégie et à la tactique de l'armée romaine à l'époque de César, mais aussi au « visage de la guerre » pour les militaires et les civils, un aspect jusque-là peu traité par les historiens. III, 1. « L'armement défensif en fer dans les régions de la Grèce, de la Macédoine et de la Thrace au IVes. a.C. », d'I. Warin (p. 269-283), fait le point sur les logiques de transferts à propos de l'armement défensif en fer. Les panoplies défensives en fer apparaissent simultanément dans les trois régions étudiées, comme dans presque toutes les civilisations de la Méditerranée et de la mer Noire, dès le milieu du Ve siècle. 2. « The Tarentine cavalry in the Hellenistic period: ethnic or technic? », de G. R. Bugh (p. 285-294) pose la question de savoir si la cavalerie tarentine, mentionnée dans les textes pour la première fois par Diodore de Sicile, est constituée de cavaliers tarentins ou si l'expression désigne une technique de combat et un équipement particuliers. Le passage de la signification ethnique à la signification technique ne s'opère qu'à partir du milieu du IIe siècle. Jusqu'à cette date, la cavalerie tarentine était constituée de cavaliers tarentins. 3. « Les patrouilleurs de l'Attique », de J.-C. Couvenhes (p. 295-306), étudie trois corps de troupe chargés de la défense du territoire civique et des confins d'Athènes. Ils se sont succédé dans le temps, les peripoloi disparaissant en 322 et les hypaithroi étant créés en 229. Entre les deux dates, période durant laquelle les Macédoniens jouèrent un rôle important, bien que mal connu, des kryptoi sont mentionnés. Ils ont certes à voir avec leurs homonymes spartiates, mais il est difficile de préciser davantage. 4. « Guerre et circulation des savoirs : le cas des armées numides », de M. Coltelloni-Trannoy (p.307-335), fait le point sur les influences que connurent les royaumes numides dès l'époque archaïque et qui modifièrent leurs structures économiques, sociales et politiques. La circulation des savoirs se fit grâce aux politiques d'alliance, aux gens qui se déplaçaient et à la guerre. C'est ainsi que les royaumes numides cherchèrent à s'intégrer à l'univers méditerranéen et à y jouer un rôle. 5. « L'incendie du camp de Syphax ou comment la ruse vint aux Romains », de S. Crouzet (p. 337-356) étudie l'évolution des pratiques militaires, évolution due à des transferts de notions et d'expériences. Rome subit alors des influences nouvelles qui font évoluer ses usages militaires et diplomatiques : Scipion adopte et adapte la mètis grecque. Le fait qu'il y ait des versions différentes de l'épisode montre que le comportement romain idéal défini au IIe siècle n'est plus celui qu'adopta Scipion. 6. « Pratiques et rites de la guerre en Italie, entre Romains et Samnites », d'O. de Cazanove (p. 357-370) affirme que le passage sous le joug de l'armée romaine lors de l'épisode des Fourches Caudines est un usage non pas samnite, mais romain. De même, lorsque Tite-Live décrit le recrutement de la légion de lin, il décrit en réalité un camp romain, qu'il transpose pour réinventer le cadre dans lequel pouvait se dérouler l'enrôlement d'une légion italique. La mise en page est soignée, mais les figures et les cartes ne sont parfois pas très lisibles : carte p. 177 ou tableau des monnaies p. 294. Il est certes difficile d'éviter complètement lecoquilles, mais il en reste un certain nombre : « tentées » au lieu de « tenté » p. 11, χπυσοῦν au lieu de χρυσοῦν p. 197, « 257 » au lieu de « 157 » p. 207, pour ne prendre que quelques exemples. On peut regretter quelques absences. C'est ainsi que la bibliographie à propos du tumultus (p. 19 n. 3) pourrait être plus récente.1 Mentionner les articles d'E. Wheeler à propos des stratagèmes aurait permis d'enrichir la discussion p. 337-356.2 Il n'en reste pas moins qu'il s'agit là d'un ouvrage intéressant, qui met en valeur des problématiques importantes, en particulier celle du rôle de l'armée et de la guerre pour les transferts culturels. Il faut compter parmi ses mérites le fait qu'il s'intéresse à l'ensemble du monde méditerranéen, et pas seulement à la Méditerranée orientale. Cela permet des mises en perspective fructueuses.
Notes:
1. F. Hinard, « À Rome, pendant la guerre de Sicile (264-241 a.C.) », RSA 30, 2000, p. 73-89 ; G. Urso, « Tumultus e guerra civile nel I secolo a.C. », CISA 27, Milan, 2001, p. 123-139.
2. E. L. Wheeler, « The Modern Legality of Frontinus' Stratagems », MGM 44, 1, 1988, p. 7-29 ; id., Stratagem and the Vocabulary of Military Trickery, Leyde/New York/Copenhague/Cologne, 1988.
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