Saturday, October 15, 2011

2011.10.32

David Brakke, The Gnostics: Myth, Ritual, and Diversity in Early Christianity. Cambridge, MA/London: Harvard University Press, 2010. Pp. xiii, 164. ISBN 9780674046849. $29.95.

Reviewed by Anna Van den Kerchove, EPHE-IESR (anna.van_den_kerchove@ephe.sorbonne.fr)

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David Brakke livre ici un ouvrage présentant les gnostiques en quelques dizaines de pages. Cependant, il se différencie d'autres ouvrages équivalents, tels ceux de Madeleine Scopello et de Christophe Marschies,1 par une conception plus restreinte du terme gnostique. David Brakke s'en explique dans les deux premiers chapitres, dédiés à des réflexions méthodologiques et conceptuelles centrées sur les usages ancien et moderne de « gnostique » et « gnosticisme ». Depuis les ouvrages de M.A. Williams et de K. King2, il est difficile de présenter les gnostiques sans prendre position dans le débat sur l'usage de ces catégories. Si presque tous les chercheurs s'accordent à dire que ces catégories sont difficiles d'emploi, les attitudes divergent quant au sort qui leur est réservé. Pour D. Brakke (chapitre 1), le terme « gnostique » est toujours approprié, à condition d'en revoir l'utilisation. Ce recadrage terminologique se fonde sur la distinction entre deux types de catégories : les catégories interprétatives utilisées par les chercheurs pour analyser les différents modèles, et les catégories sociales qui correspondent à la manière dont les anciens se voient et s'organisent. L'auteur reproche à beaucoup de chercheurs de les confondre, et un exemple de confusion concernerait la catégorie « gnostique ». Il propose ainsi d'abandonner l'usage heuristique de ce terme au profit d'un usage social.

Deux sources antiques principales (chapitre 2) aident David Brakke à définir cet usage social : le témoignage d'Irénée, dont le caractère polémique et hérésiologique ne doit pas occulter l'intérêt, dans la mesure où certaines précautions sont prises ; celui de Porphyre, dont l'avantage est de ne pas dépendre d'Irénée et qui mentionne des écrits gnostiques dont une version serait par ailleurs parvenue jusqu'à nous par les sources directes. Il s'appuie également sur les travaux de H.-M. Schenke sur ce que ce dernier appelle le « système séthien ». Tout ceci l'amène à considérer que « gnostique » est une auto-dénomination, dont Irénée aurait critiqué l'usage par ceux qu'il critique, tout en l'étendant de manière polémique à d'autres groupes chrétiens qu'il combat. Dans le lignée de B. Layton, David Brakke restreint ainsi l'usage de « gnostique » aux seuls groupes d'où sont originaires les textes dits « séthiens ». Il clôt le chapitre par une liste typologique d'ouvrages gnostiques (dans le sens restreint) ou utilisés par ces gnostiques. Sans le dire expressément, il intervient aussi dans le débat sur la dénomination « séthien ». Il n'est pas sûr que ce nouvel ouvrage apporte un point final à ces débats. En revanche, les pages méthodologiques que David Brakke livre sur la distinction entre deux catégories méritent d'être méditées et devraient retenir l'attention des chercheurs, en premier lieu des coptisants en les rendant attentifs à la manière dont ils usent de certains concepts et dénominations. De plus, l'arrière-plan de l'ouvrage, à savoir insister sur la diversité des débuts du christianisme, rejoint les tendances de la recherche de ces dernières années, et nous ne pouvons pas nous empêcher d'adhérer au but que s'assigne l'auteur (p. 15) : « our goal should be to see neither how a single Christianity expressed itself in diverse ways, nor how one group of Christians emerged as the winner in a struggle, but how multiple Christian identities and communities were continually created and transformed. »

Dans les chapitres suivants, il présente l'identité des gnostiques à partir de trois thèmes : les mythes, car, comme il le dit p. 42, l'identité d'un groupe se fonde non pas sur des doctrines mais sur des mythes ; les rapports avec d'autres groupes chrétiens contemporains et la différenciation d'avec ces mouvements. Il rappelle ainsi (chapitre 3) les grandes lignes des mythes, en tenant compte des variantes qui existent d'un écrit à l'autre. C'est l'occasion pour l'auteur de faire des rapprochements avec les discours platoniciens – notamment pour ce qui est de la médiation monde-Dieu – et d'évoquer les liens avec les écrits juifs et avec les autres chrétiens. Dans ce dernier cas, il insiste sur la façon de s'en différencier, notamment au moyen de la terminologie de la race et de la royauté. Ces pages consacrées aux mythes conduisent David Brakke à évoquer les liens entre les mythes et les rites mentionnés dans les textes qu'il a sélectionnés, en premier lieu le baptême. Tout en affirmant sa réalité rituelle, David Brakke insiste sur sa dimension mystique. Il termine ce chapitre en reprenant la discussion sur les origines du mouvement, qu'il affirme être chrétiennes et non juives, ce mouvement gnostique étant un témoin de la grande diversité des débuts du christianisme, sur laquelle il revient dans les deux derniers chapitres.

Il consacre plusieurs pages à Rome et sur les débats qui y ont lieu (chapitre 4). Il fait ainsi un focus sur Marcion, Valentin et Justin, trois personnages qui ont une connaissance différente des gnostiques et surtout qui ont un rapport différent leurs idées. C'est l'occasion pour David Brakke de revenir sur les catégories « orthodoxe » et « hérétique », qui ne permettent pas de bien appréhender la complexité des premiers temps du christianisme. Il clôt l'ouvrage (chapitre 5) en détaillant les stratégies d'auto-différentiation à la fois des gnostiques et d'autres chrétiens, tels les valentiniens, Irénée, Clément d'Alexandrie et Origène.

Cet ouvrage est clair et intéressera surtout les étudiants qui débutent dans l'étude de la diversité chrétienne des premiers siècles ou les chercheurs peu familiers avec les gnostiques (au sens large et au sens restreint) et leurs idées. Un index leur permettra de s'y repérer assez facilement. On peut toutefois regretter l'absence d'une conclusion qui récapitulerait les principales thèses de l'auteur et le fait que la bibliographie soit restreinte aux sources. La bibliographie des études n'est en fait accessible que par l'intermédiaire des notes et elle est, à quelques rares exceptions près, anglo-saxonne. Même si le public visé semble être avant tout anglophone et estudiantin, il est difficile d'occulter la recherche européenne, qu'elle soit française, italienne ou allemande entre autres. Nous ne voulons citer qu'un exemple. À la page 82, David Brakke cite à juste titre le travail en cours de Zeke Mazur sur Plotin et les gnostiques. Des recherches sur le même thème sont également en cours en France, avec un travail de doctorat mené par Luciana Soares Santoprete et soutenu en 2009 sous le titre Plotin, Traité 32 (V,5), Sur l'Intellect, que les intelligibles ne sont pas hors de l'Intellect et sur le Bien : introduction, traduction, commentaires et notes ; cet ouvrage, qui fait une large part au débat entre Plotin et les gnostiques, paraîtra aux éditions du Cerf.



Notes:


1.   M. Scopello, Les Gnostiques, Paris, Cerf, 1991. C. Markschies, Die Gnosis, München, Verlag C.H. Beck oHG, 2001.
2.   M. A. Williams, Rethinking "Gnosticism": An Argument for Dismantling a Dubious Category, Princeton, Princeton University Press, 1996; K. L. King, What is Gnosticism?, Cambridge, Harvard University Press, 2003.
3.   Voir T. Rasimus

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