Monday, October 25, 2010

2010.10.64

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Daniela Bonanno, Ierone il Dinomenide: storia e rappresentazione. Supplementi a "Kokalos" 21. Pisa/Roma: Fabrizio Serra editore, 2010. ISBN 9788862272193. €345.00 (pb).

Reviewed by Sandra Péré-Noguès, Université Toulouse 2

Le livre de Daniela Bonanno, qui est la version remaniée d'une thèse de doctorat en histoire de la Sicile antique soutenue en 2003 à l'université de Palerme, s'inscrit dans la lignée des études importantes sur l'histoire de la tyrannie antique, tant son approche du sujet apporte un regard neuf sur le règne de Hiéron le Deinoménide. L'auteur s'est fixé dès le début un double objectif : faire la part entre ce qui relève du factuel et ce qui est induit par les "représentations" émanant aussi bien du pouvoir lui-même que des images construites a posteriori. Le pari est réussi à plusieurs titres : sur le plan formel, il faut tout d'abord souligner la clarté du propos et la fluidité du discours qui, tout en évitant les pièges d'une incomplète biographie, donne une idée juste de ce que fut le règne du second Deinoménide et de sa place dans l'histoire politique de la Sicile ; par ailleurs, la pertinence et la prudence des interprétations de l'auteur ajoutent à la qualité de l'ouvrage, car il n'est jamais aisé de reprendre un dossier aussi compliqué comme peut l'être celui des tyrannies syracusaines du Ve siècle.

Après une introduction où l'auteur expose soigneusement les difficultés multiples posées par la documentation et la méthodologie choisie, l'ouvrage s'organise en deux temps : d'une part, une analyse des événements qui ont marqué le règne de Hiéron (parties I-III) ; d'autre part, une analyse plus approfondie des "images" du pouvoir du second Deinoménide (partie V), le lien étant fait par une remarquable partie sur la cour de Hiéron (partie IV). Des indices et une bibliographie presque exhaustive complètent l'ensemble.

Dans la première partie, "Dalla tirannide di Gela al trono di Siracusa", l'auteur essaie de retracer les débuts de la carrière politique de Hiéron, de ses premières années à la tête de Géla, cité d'origine des Deinoménides, jusqu'à la crise ouverte avec son frère Polyzélos. En trois chapitres, D. Bonanno aborde plusieurs aspects complexes de cette période : la situation de Hiéron à la tête de Géla, qu'elle perçoit comme celle d'un "tyran sans sujets", d'un tyran régnant sur une cité touchée durement par la diaspora géléenne qui a suivi la politique de son prédécesseur Gélon (chapitre 1) ; ensuite son accession au trône de Syracuse (chapitre 2) et finalement les relations difficiles avec son frère Polyzélos devenu maître de Géla (chapitre 3). Les principaux textes sont retraduits et passés au crible d'une analyse serrée qui permet à l'auteur de remettre en cause certaines interprétations. Concernant la succession de Gélon, par exemple, elle revient sur l'idée d'une succession de frère à frère, idée largement admise par les historiens modernes qui perçoivent cette pratique comme archaïsante. D. Bonanno démontre au contraire qu'il n'aurait pas existé de règle particulière chez les Deinoménides, mais que l'arrivée de Hiéron à Syracuse aurait été le fait de Gélon lui-même. En outre, elle insiste justement sur le poids de la volonté – puis du testament – politique du premier Deinoménide qui offrait la régence de Syracuse à son successeur, mais qui, dans le même temps et paradoxalement, le fragilisait au sein de la cité et vis-à-vis de son autre frère Polyzélos. La compétition fraternelle qui s'ouvrit à la mort de Gélon pesa en effet comme une lourde hypothèque dans la succession et, cela explique pourquoi, en dépit des alliances matrimoniales, Hiéron, chercha à éviter l'émergence d'un axe Géla/Agrigente, dont la puissance aurait pu faire vaciller sa propre autorité. C'est dans ce contexte difficile que D. Bonanno réexamine la fameuse inscription de l'Aurige de Delphes dont elle associe le martelage et la correction à une forme de damnatio memoriae décidée et réalisée par Hiéron lui-même.

La seconde partie "Gli interventi di Ierone al di là della Stretto e l'ostilità con Agrigento" reprend en détail les opérations entreprises aussi bien en Grande Grèce que contre Agrigente. Deux points sont particulièrement intéressants : d'une part l'aide apportée par Hiéron aux survivants sybarites, aide qui contrebalançait le refus fait autrefois par son frère Gélon aux Grecs à la veille de Salamine ; d'autre part l'acuité de ses décisions dans les affaires diplomatiques. Face à la crise ouverte avec Agrigente et à laquelle contribuait Polyzélos, Hiéron réussit à démontrer une certaine habileté diplomatique, préférant la médiation au rapport de force face à ses adversaires. Par son attitude, Hiéron donnait un autre visage de la politique extérieure de Syracuse et par voie de conséquence une autre image de son pouvoir auprès des Grecs. Quant au soutien fourni aux anciens Sybarites, il rejoignait un courant d'opposition au pythagorisme qui existait aussi bien en Grande Grèce qu'en Grèce.

La troisième partie intitulée "Phronesis e dynamis" s'ouvre sur la fondation de la cité d'Etna, épisode qui marque le point d'orgue du règne. Si cette colonie fondée sur les cendres de l'ancienne Catane répondait à ses propres vœux – à savoir ceux de créer une dynastie et d'obtenir les honneurs d'un oikistès – elle reste encore difficile à cerner du point de vue de sa composition civique et sociale. Selon D. Bonanno, des opposants au régime y auraient été relégués parmi les colons, mais cette hypothèse est fragilisée par l'attachement que manifestèrent ces colons au nom de l'oikistès et à leur ancienne colonie après la chute des Deinoménides et leur expulsion. En revanche, l'analyse de la propagande qui fut faite autour de cette fondation, notamment par Eschyle et Pindare, est beaucoup plus convaincante. L'auteur met ainsi en lumière l'importance de l'œuvre d'Eschyle, les Etnéennes, qui intégra pour la première fois dans le paysage religieux sicéliote le culte indigène des Paliques. De façon générale, cette propagande donne une idée des références idéologiques auxquelles était sensible Hiéron. Elles transparaissent à travers la convocation de certaines figures légendaires (Xouthos/Xouthia chez Eschyle, les Héraclides chez Pindare) ou divines (comme Zeus sur le monnayage). Si le modèle spartiate en était l'horizon, des valeurs plus consensuelles au monde grec et même indigène y tenaient une place importante. L'autre temps fort du règne fut la bataille de Cumes (474), car l'intervention de la flotte syracusaine décisive contre les Etrusques renforça le contrôle des Grecs en mer Tyrrhénienne. Mais une nouvelle fois, c'est aussi la publicité qui fut faite autour de cet épisode militaire qui en accrut la portée historique. L'auteur montre comment chaque artiste fut appelé à jouer un rôle particulier : alors que Pindare célébrait la victoire des Grecs contre les Barbares et lui donnait une audience "internationale", Bacchylide louait l'homme politique, son eusebeia, sa générosité et sa fidélité à la cause grecque. Deux facettes de la puissance pour deux publics : le public des rencontres panhelléniques et le public de Syracuse.

La quatrième partie "La corte di Ierone : storia e rappresentazione" prolonge cette réflexion sur la propagande en se concentrant sur l'entourage du tyran. Après être revenu sur le rôle des jeux panhelléniques dans la célébration du pouvoir, l'auteur montre comment Hiéron s'est emparé d'un modèle de mécénat venu d'Egée et a attiré ainsi à son service les meilleurs artistes de l'époque. Sous sa protection put se développer un discours qui louait les vertus du souverain : la justice, l'hospitalité et la légitimité de son pouvoir, valeurs programmatiques du souverain. Sans être exclusivement des "porte-voix" du pouvoir, ils bénéficièrent des largesses, du misthos que D. Bonanno essaie d'apprécier à l'aune des quelques indications fournies par les textes. Néanmoins, une certaine marge de liberté se révèle dans les œuvres et l'usage qui fut parfois fait de certaines légendes comme celle de Philoctète, héros "ribaltato", auquel Hiéron fut identifié dans une satire d'Epicharme. Pour Syracuse, cette promotion de la vie culturelle qui était sans précédent lui permit de rivaliser avec d'autres grands centres grecs à l'instar d'Athènes.

La cinquième et dernière partie "Fortuna e sfortuna del tiranno" évoque la postérité de cette propagande forgée à la cour de Hiéron. Si son influence s'exerça sur l'historiographie, et ce dès Hérodote, elle s'amenuisa au fil du IVe siècle pour aboutir à un renversement complet de l'image du Deinoménide. Déjà dans le traité éponyme de Xénophon, la figure de Hiéron tend à se confondre tout en restant positive avec d'autres portraits de tyrans grecs, passés ou contemporains. A l'inverse, la tradition sur le poète de cour que fut Simonide est peu à peu réhabilitée. Si l'œuvre d'Ephore privilégia aussi le rôle des Deinoménides dans la lutte des Grecs contre les Barbares, reprenant là un thème déjà exploité par Pindare, l'image de Hiéron est peu à peu remise en cause, passant de celle du "prince idéal" à celle du "tyran envieux". Selon D. Bonanno, ce glissement fut définitivement consacré par Timée qui préféra mettre en avant Gélon au détriment de son frère. Comme bien d'autres hommes politiques, la tradition sur Hiéron subit ainsi une série de déformations imputables aussi bien à la réflexion des philosophes sur la tyrannie, qu'aux nombreuses versions qui devaient circuler sur son règne à Syracuse et dans le monde grec.

La remise en perspective de chaque épisode du règne permet en définitive à l'auteur d'explorer d'une manière originale le règne du second Deinoménide et d'en révéler la place déterminante dans l'histoire de Syracuse. Véritable analyse d'histoire politique et culturelle, cette étude propose des interprétations qui seront, à n'en pas douter, l'objet de commentaires de la part des historiens qui s'intéressent à la tyrannie sicéliote. Au fil des pages, D. Bonanno réussit à imposer sa propre image du règne de Hiéron : celle d'un souverain de son temps, capable de se servir des terrains les plus propices à la communication politique, mais aussi de maintenir coûte que coûte le principal héritage de son frère, à savoir le pouvoir sur Syracuse.

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