Marta Novello, Scelte tematiche e committenza nelle abitazioni dell'Africa Proconsolare. I mosaici figurati. Biblioteca di Eidola. Series Maior, 1. Pisa/Roma: Fabrizio Serra Editore, 2007. Pp. 311; pls. 140. ISBN 978-88-6227-013-7. €220.00 (pb).
Reviewed by Jean-Pierre Darmon, ENS/CNRS Paris
Cet imposant ouvrage de 450 pages au total prend à bras le corps une documentation considérable, car son ambition est de traiter de l'ensemble des mosaïques figurées reconnues dans le décor domestique de l'Afrique Proconsulaire sur près d'un demi millénaire, afin de rendre compte de ses choix thématiques et des motivations de ses commanditaires.
Après une préface élogieuse (p. 17-18) par Katherine M. Dunbabin, qui a précédé Marta Novello, il y a plus de 30 ans, dans une brillante synthèse à la problématique très voisine,1 l'Introduction de l'Auteur (p. 21-25) définit les circonstances de l'élaboration de son ouvrage, -- qui s'inscrit dans la suite de l'enquête d'une équipe dont elle faisait partie sous la direction de Francesca Ghedini2 --, et en précise les limites (la Tripolitaine est exclue de son corpus mais en revanche les franges aujourd'hui algériennes de la Proconsulaire y sont incluses), les ambitions heuristiques, replacées dans le contexte des récentes recherches, et enfin le plan.
Une première partie, distribuée en dix chapitres (p. 29-123), dresse l'inventaire des sujets figurés, en en explorant, chemin faisant, les implications sémantiques et la répartition dans l'espace domestique : sujets dits "marins" (p. 29-42), <[de genre]> (p. 43-52), sujets "mythologiques" (p. 53-66), à l'exclusion de la thématique dionysiaque à laquelle est consacrée un chapitre à part (p. 67-80), sujets relatifs au Temps (personnifications des Saisons, Mois, Jours de la Semaine etc.) (p. 81-89), à l'Amphithéâtre (p. 91-100), thèmes cynégétiques (p. 101-108) ou concernant le Cirque et les courses de char (p. 109-115), les jeux athlétiques (p. 117-118), enfin les sujets "culturels" (Muses, Poètes, scènes théâtrales, masques) (p. 119-123). Cet inventaire une fois fait, la seconde partie (p. 127-174), qui comporte un chapitre premier et unique, étudie la question de la répartition géographique et chronologique de ce répertoire figuré, en privilégiant toutefois l'articulation historique, qui distingue la situation au IIe siècle (p. 128-134), à l'époque sévérienne (p. 134-145), puis dans la seconde moitié du IIIe siècle (p. 145-154), au Bas-Empire (p. 154-165), enfin aux époques vandale et byzantine (p. 165-170), mais aussi en proposant pour finir une vision d'ensemble de la répartition des thèmes figurés en mosaïque pendant toutes ces périodes (p. 171-174). La troisième et dernière partie (p. 177-217), qui ne comporte, elle aussi, qu'un seul chapitre, étudie de façon globale la question du rapport utilitas/decor: elle s'efforce de rendre compte de la "distribution fonctionnelle du répertoire décoratif à l'intérieur de la maison", en y distinguant "le domaine public" (p. 178-203) du "domaine réservé" (p. 203-215), pour terminer par quelques pages synthétiques sur la congruence entre fonction des espaces et thématique de leur décor de sol (p. 215-217). En appendice, un catalogue méthodique (p. 223-266) inventorie toutes les mosaïques prises en compte dans cette étude, classées par site géographique, les sites eux-mêmes classés par ordre alphabétique, et une liste des abréviations utilisées dans le corps de l'ouvrage en fournit la bibliographie (p. 269-283). Des indices thématique (p. 287-291) et géographique (p. 293-301), la table des planches (p. 303-311), douze graphiques en couleurs répartis en 5 planches (A à E), une carte de l'Africa antique (pl. I) et plus de 550 illustrations en noir et blanc (environ 120 reproductions de dessins et plus de 420 reproductions de photographies, trop souvent, hélas, en très petit format), réparties en CXXXIV planches, terminent l'ouvrage.
La difficulté de l'entreprise n'échappera à personne, et on ne s'étonnera pas qu'un tel effort de synthèse ait donné lieu, en dépit de ses grandes qualités, à quelques maladresses. Cet ouvrage étant issu d'une thèse universitaire, on peut être surpris que l'A. n'ait pas été mieux conseillée pour résoudre certains problèmes d'organisation formelle, somme toute assez faciles à surmonter. Dans la première partie, où sont inventoriés les thèmes de la mosaïque figurée, qui sont quasiment tous mythologiques ou à références mythologiques, il était pour le moins maladroit, on en conviendra, de prévoir un chapitre III intitulé "Sujets mythologiques"! Cette première partie souffre, en outre, d'un certain manque de synthèse et d'un éparpillement des catégories au gré d'une documentation qui aurait pu être mieux organisée : ainsi pourquoi rencontre-t-on dans le chapitre III une rubrique intitulée "miti ad ambientazione marina" (p. 58) alors que le chapitre I était consacré aux sujets à caractère marin ? Pourquoi y trouve-t-on Orphée (p. 58-59) et la discussion des thèmes musicaux et philosophiques (p. 63) alors que c'est le chapitre X qui est consacré aux images évoquant explicitement la culture (muses, poètes, théâtre et masques). Et l'on voit donc que théâtre et masques, traités dans ce chapitre X, y sont artificiellement dissociés de l'imagerie dionysiaque qui, elle, fait, en principe, l'objet du chapitre IV. Quant aux scènes de l'amphithéâtre, du cirque et du stade, elles sont distribuées en trois courts chapitres distincts (VI, VIII et IX) quand elles pouvaient être regroupées en un seul, sous l'intitulé des "Jeux".
De même, la bizarrerie qui consiste à n'avoir qu'un seul chapitre dans chacune des 2e et 3e parties pouvait être aisément corrigée en adoptant, pour diviser chaque partie, les divisions mêmes de chaque chapitre unique ici présenté: cinq articulations chronologiques pour la partie 2, assorties d'une conclusion synthétique, et, pour la partie 3, deux chapitres, l'un réservé à la partie "publique" de la maison (qu'il vaudrait mieux appeler "espaces de représentation", la maison tout entière restant, quoi qu'il arrive, dans la sphère du privé) et l'autre au domaine intime, "réservé" (ici, l'expression choisie est heureuse).
Enfin, le plan d'ensemble du livre aurait sans doute gagné à être différent : il aurait été logique, après l'étude synchronique des thèmes décoratifs (1ère partie), de trouver d'abord l'étude, elle aussi synchronique, de leur répartition dans l'espace de la maison (donc en 2e partie, et non en 3e) pour arriver enfin à la déclinaison diachronique de tout ce matériel, qui aurait dû se trouver en 3e et dernière partie de ce qui est, après tout, une étude historique.
Fort heureusement, ces maladresses de forme n'empêchent pas l'ouvrage d'être excellent sur le fond. L'énorme quantité de documentation est saisie à bras le corps : répartis sur une cinquantaine de sites, plus de 200 édifices, à caractère domestique assuré ou probable (demeures et thermes privés), sont pris en compte, avec leurs mosaïques figurées inventoriées dans les moindres détails. L'Auteur ne pouvait faire état des inédits, mais presque tout ce qui pouvait être mentionné l'a été : adossée à l'entreprise des Amplissimae atque ornatissimae domus, à laquelle elle a été associée, Marta Novello a pu bénéficier de sa documentation très riche, et a tenu à jour la bibliographie autant qu'il était possible, puisque les publications de 2005 (en particulier le IXe Colloque de l'AIEMA [Association internationale pour l'étude de la mosaïque antique], tenu à Rome) et même 2006, ainsi que des communications encore sous presse (notamment présentées au Xe Colloque de l'AIEMA, tenu à Conimbriga), ont été prises en compte, ce qui est remarquable s'agissant d'une publication diffusée dès le début de 2008. De ce fait, un grand nombre de documents nouveaux viennent ici s'ajouter à ceux autrefois mis en oeuvre par Katherine Dunbabin (1978), documents aussi spectaculaires, entre autres, que les pavements de la maison d'Africa à El Jem découverte par Hédi Slim (Thysdrus 12, pl. CXII-CXIV), des thermes de Sidi Ghrib publiés par Abdelmajid Ennabli (Sidi Ghrib 1, pl. LXXI-LXXIII), de la maison des Deux chasses à Kélibia étudiée par Mongi Ennaïfer (Clipea 1, pl. XXI-XXII), de celle de Vénus à Lemta révélée par Néjib Ben Lazreg (Leptiminus 2) ou encore la mosaïque dite du "cordonnier" (il s'agit en réalité d'un tailleur) (Clipea 2, pl. XXIb), celle à l'Orphée de Rougga (Bararus 1a, pl. Xa), elles aussi signalées par Hédi Slim, sans oublier la prodigieuse mosaïque des Îles grecques de Haïdra ou encore l'ensemble, tardif, de Henchir Errich, récemment portés à la connaissance du public par Fathi Béjaoui (Ammaedara 2 -- malheureusement la photographie que donne l'A., pl. IXd, est indéchiffrable -- ; Hr Errich 1), et bien d'autres. La richesse de la documentation ainsi réunie est une des grandes qualités de cet ouvrage. On peut seulement regretter que, sans doute pour des raisons économiques bien compréhensibles, on ait pris le parti, pour l'illustration photographique, du noir et blanc exclusif et du petit format, renonçant ainsi à ce que les images donnent une idée, même imparfaite, de l'extraordinaire qualité artistique de ces peintures de pierre qui peuplaient les maisons romaines d'Afrique.
A vrai dire, l'exhaustivité n'est pas entièrement au rendez-vous. D'abord se pose le problème des thermes. Plusieurs sont pris en compte, en qualité de thermes certainement ou hypothétiquement associés à une demeure privée, domus ou villa. Mais l'incertitude, dans ce domaine, est fréquente : sans doute fallait-il écarter tous les édifices balnéaires, en réservant une étude ultérieure à la décoration thermale, ou, au contraire, les prendre en compte tous, s'agissant d'un décor de toutes façons lié à la sphère de la vie quotidienne privée, même dans le cadre communautaire des thermes dits, par abus de langage, "publics". En tout état de cause, il n'était pas légitime d'écarter de la documentation l'édifice thermal de Sidi Ali ben Nasr Allah3 (à l'iconographie, riche et originale, organisée autour d'un Neptune central en position de majesté) puisque, au cours de sa présentation à Rome en 2001, on avait insisté (Noël Duval, Mongi Ennaïfer) sur l'association très probable de ces petits thermes à une villa encore à découvrir. De même, on peut se demander s'il fallait vraiment écarter les fameux thermes de Thémétra, autrefois publiés par Louis Foucher, auxquels il est portant souvent fait allusion dans cet ouvrage, sous prétexte qu'ils avaient "une possible destination publique" ?4 La question se pose souvent à propos de ce type d'édifices.
On peut aussi relever quelques omissions regrettables parmi les récentes découvertes liées à l'iconographie domestique, comme c'est le cas pour la publication par Hédi Slim, du grand oecus corinthien de la maison d'Orphée à Rougga (Bararus 1) qui comporte notamment, entre bien d'autres thèmes mythologiques -- dont un superbe Hélios trônant --, une rarissime figuration de la Chute de Phaéton,5 indirectement et insuffisamment mentionnée ici (p. 225).
D'autres critiques mineures peuvent être faites ici ou là. Au hasard : à propos de la maison des Nymphes de Nabeul (Neapolis 1), pourquoi contester que le grand triclinium ait été organisé selon un dispositif en T+U, alors que la bordure interne de la branche intermédiaire du U était partiellement conservée, ce qui m'avait permis de préciser avec certitude la largeur exacte et la forme de ce tapis ?6 Toujours pour le même ensemble, pourquoi faire encore état, p. 57 et 245, d'une lecture iconographique erronée que j'ai moi-même corrigée depuis plus de vingt ans dans un retractatio publique ?7
S'intéressant, dans le chapitre VIII de la 1ère partie, à la thématique du cirque et des chevaux vainqueurs, et s'efforçant avec raison de mettre en évidence ses valeurs sémantiques, comment se fait-il que l'Auteur ne se préoccupe pas plus de l'étude des noms de chevaux donnés par de nombreuses inscriptions en mosaïque et passe sous silence l'ouvrage, fondamental sur ce sujet, de Marta Darder ?8 Toujours dans le domaine équestre : il n'est pas du tout sûr que la maison aux Chevaux de Carthage (ici Karthago 11) soit une demeure privée et l'hypothèse qu'il puisse s'agir d'une schola de la faction des Bleus est très forte ; il fallait sans doute le signaler au moment où l'on choisissait néanmoins de qualifier cet édifice de "demeure" (p. 239) et de l'intégrer au corpus.
L'abondance de la matière est telle, qu'il est inévitable d'avoir à discuter tel ou tel point. Pour l'essentiel, on sera infiniment reconnaissant à l'Auteur d'avoir rassemblé cette considérable documentation et d'avoir posé à son sujet les bonnes questions : elle s'est confrontée à l'examen systématique de la valeur sémantique de ces ornementations foisonnantes et s'est efforcée de mettre en relation l'usage des décors figurés avec leurs fonctions restituables, si faire se peut, dans l'espace de la domus. On sera particulièrement intéressé par les tentatives d'évaluation statistique et de représentation graphique données sous forme de "camemberts" aux planches C à E, où l'Auteur réussit à synthétiser visuellement les principaux résultats de son enquête (sans trop s'illusionner elle-même, je pense, sur la pertinence des pourcentages, puisqu'il ne s'agit pas de documents en très grands nombres ni assurément univoques). Parce que son information est très solide et très abondante, parce que la masse des données qu'elle fournit est aisément consultable grâce à la clarté de la présentation et aux différents indices, parce qu'elle a su aller au fond des choses, chercher à interpréter et à comprendre et donc dépasser le niveau seulement descriptif, dont d'autres se contentent trop souvent, l' Auteur nous donne ici un grand livre, désormais indispensable à tout chercheur concerné par les images antiques, et nous permet ainsi de faire un grand pas en avant dans l'étude du décor domestique romain. Qu'elle en soit remerciée.
Notes:
1. Katherine M.D. Dunbabin, The Mosaics of Roman North Africa. Studies in Iconography and Patronage, Oxford, Clarendon Press, 1978.
2. Silvia Bullo, Francesca Ghedini et alii, Amplissimae atque ornatissimae domus (Aug. Civ., II, 20, 26). L'edilizia residenziale nelle città della Tunisia romana, Rome, 2003 ("Antenor Quaderni", 2).
3. Mongi Ennaïfer, Néjib Ben Lazreg, "Les mosaïques des thermes de Nasr Allah (Tunisie)", in La mosaïque gréco-romaine IX, Rome, EFR, 2005, p. 519-531. L'A. connaît cette publication et c'est donc en connaissance de cause qu'elle a écarté cet édifice thermal de son corpus, alors qu'elle mentionne le site à plusieurs reprises au cours de son étude.
4. Cf. p. 36, n. 88.
5. Hédi Slim, "La Chute de Phaéton sur une mosaïque de Bararus-Rougga en Tunisie", CRAI, 2003, p. 1103-1133, avec une excellente illustration en couleurs.
6. Cf. mon NYMPHARUM DOMUS, mos. 14, cf. p. 63 et pl. XXVII, 1. La présence, bien visible sur quelques centimètres, de la bordure intérieure du segment nord (bande blanche encadrée de deux filets noirs) permet de conférer à ce dernier une profondeur de 1,20 m et prouve qu'il s'agit bien d'un tapis en U destiné à recevoir les lits de banquet.
7. "Philoctète à Nabeul. Une retractatio", BSNAF, 1989, p. 232-238. L'Auteur connaît pourtant, et cite cet article, qui aurait dû l'amener à ne plus faire état de mon ancienne interprétation de la mosaïque n. 29 de la maison des Nymphes (pièce n. 17). Ce n'est pas parce qu'une erreur a été écrite une fois qu'il faut la répéter indéfiniment, surtout après qu'elle a été reconnue et corrigée par son propre auteur.
8. Marta Darder Lissón, De nominibus equorum circensium. Pars Occidentis, Barcelone, Reial Acadèmia de Bones Lletres, 1996.
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