Jacques Jouanna, Hippocrate: Pour une archéologie de l'École de Cnide. 2e édition augmentée d'un article (2004) et d'une Postface (2009). Collection d'éudes anciennes 141. Paris: Les Belles Lettres, 2009. Pp. 718. ISBN 9782251326696. €65.00 (pb).
Reviewed by Cécile Nissen, Université de Liège
[La table des matières est reproduite à la fin de ce compte rendu.]
À la lecture du titre Hippocrate: Pour une archéologie de l'École de Cnide, les chercheurs intéressés par l'histoire de la médecine dans l'Antiquité grecque, auront reconnu un intitulé qui ne leur est pas étranger. Comme l'indique le sous-titre, il ne s'agit pas, en effet, d'une publication totalement inédite, mais d'une réédition de l'ouvrage publié sous le même titre en 1974, déjà dans la Collection d'études anciennes des Belles Lettres. Avec cette nouvelle édition, J. Jouanna offre une actualisation opportune d'une problématique qui a vivement agité les spécialistes de la médecine grecque au cours des quarante dernières années. C'est ici la question de l'existence des écoles de Cos et de Cnide qui, par l'entremise de leurs productions littéraires supposées, se trouve au coeur de la réflexion menée.
L'objectif initial du savant français, l'un des plus grands spécialistes actuels d'Hippocrate et du corpus qui porte son nom, consistait à proposer une nouvelle analyse des traités nosologiques considérés comme cnidiens, à l'intérieur de la Collection hippocratique. Aboutissement d'une thèse de doctorat d'État, soutenue à Paris-Sorbonne (Paris IV) en 1972, l'Archéologie se fonde sur un examen des rédactions parallèles relevées dans l'exposition des maladies; outre des parentés dans le contenu, ces traités techniques partagent la particularité d'être composés selon un schéma similaire de présentation des affections. Les ressemblances mises en exergue permettent de suggérer l'existence d'un modèle commun, identifié aux Sentences cnidiennes. Cependant, le schéma d'exposition des maladies présente également des variantes d'un traité à l'autre. L'ambition de J. Jouanna était de mettre en évidence l'évolution connue par l'école de Cnide, en distinguant, parmi les traités nosologiques, différentes strates de rédaction et de reconstituer ainsi une chronologie, au moins relative, au sein de cette production littéraire.
Ce sont les résultats de cette enquête qui ont été publiés aux Belles Lettres dès 1974, dans un ouvrage qui est rapidement devenu une référence dans les études hippocratiques, vu son caractère novateur, mais vu aussi la polémique qu'il a suscitée quant à la possibilité de déterminer l'origine et l'appartenance des traités hippocratiques. L'hypothèse de départ posée par l'auteur s'est vue confirmée par une comparaison scientifique et systématique des rédactions parallèles contenues par plusieurs traités nosologiques. Maladies II A, Maladies II B, Affections internes, Maladies III, Affections et Maladies I ont constitué le noyau de la recherche. Outre un important travail de collation des manuscrits et d'édition critique de textes pour lesquels on ne disposait souvent que des éditions de Littré et d'Ermerins du XIXe s., J. Jouanna a livré, au travers des huit chapitres de sa monographie initiale (cf. la table des matières reproduite à la fin de ce compte rendu), une série d'analyses pointues des rédactions parallèles. Il s'est attaché à les caractériser aussi bien par l'emprunt d'éléments à un modèle commun que par des structures rédactionnelles, à savoir des techniques d'exposition similaires. Mais il a aussi déterminé la part d'innovation plus ou moins grande par rapport au modèle, perceptible notamment par l'insertion de concepts nouveaux. Au schéma originel de présentation des maladies, correspondant à la succession sémiologie-pronostic-thérapeutique va s'adjoindre, dans certains cas, une étiologie humorale, qui témoigne d'une évolution de la médecine cnidienne. J. Jouanna atteint ainsi son objectif en identifiant plusieurs strates au sein de la production supposée cnidienne, d'où le concept d'archéologie appliqué à l'école de Cnide.
Les six cent soixante-quatre pages de l'Archéologie de 1974, à l'exclusion de la Table des matières (p. 663-664), sont reproposées en version intégrale, y compris les appendices très utiles qui contiennent la liste des chapitres des traités cnidiens édités (p. 515-518), la concordance des rédactions parallèles (p. 519-520) ainsi que le commentaire critique des passages édités (p. 521-632). Soulignons d'ailleurs que ce dernier n'a pas toujours trouvé un équivalent susceptible de le remplacer dans les nouvelles éditions.
Cependant, cette deuxième édition ne se limite pas à la reproduction anastatique du volume paru trente-cinq ans plus tôt; il est enrichi par deux contributions récentes, ajoutées à la fin de l'ouvrage initial. La première (p. 663-678) n'est autre que la réimpression d'un article de l'auteur publié en 2004: L'archéologie de l'École de Cnide et le nouveau témoignage du PKöln 356 (Inv. 6067), paru dans I. Andorlini (dir.), Testi medici su papiro. Atti del Seminario di studio (Firenze, 3-4 giugno 2002), Florence, 2004, p. 221-236. L'introduction de cet article dans le volume de l'Archéologie repose sur une évidente continuité entre ces deux travaux, affirmée d'emblée par la référence commune à "l'archéologie de l'école de Cnide" dans leur titre. La communication présentée à Florence en juin 2002 apporte un complément et une confirmation à la thèse soutenue dans l'ouvrage de 1974, par l'examen d'un document papyrologique édité en 2001. Le papyrus de Cologne 356 renferme, en effet, des rédactions parallèles nouvelles au traité des Affections internes, avec la présentation, dans une doxographie, de trois maladies de la rate et d'une maladie des reins débutant une série. Les ressemblances observées dans le contenu, avec notamment l'emploi du verbe ὀροπωτεῖν, "boire du petit-lait", comme dans le schéma d'exposition, mais aussi les divergences, en particulier l'absence d'étiologie dans le papyrus, corroborent les premières conclusions de J. Jouanna, à savoir l'existence d'un modèle commun et une certaine évolution enregistrée au sein de l'école de Cnide, dont témoigne ici le caractère plus conservateur des rédactions parallèles du papyrus.
Mais l'apport le plus important de cette réédition réside dans la Postface d'une quarantaine de pages qui clôt l'ouvrage (p. 679-716). L'objectif de J. Jouanna est ici de replacer la publication de son Archéologie dans les études hippocratiques contemporaines, de mesurer son impact sur leur développement ultérieur ainsi que l'évolution des questionnements qui y sont liés dans la communauté scientifique. De fait, depuis le début des années 70, celle-ci est agitée par une vive polémique quant à l'existence même des écoles médicales de Cos et de Cnide, et par conséquent quant au bien-fondé des études qui visent à déterminer l'origine coaque ou cnidienne de certains traités hippocratiques. Le savant français offre d'abord, sous le titre I. Pour une post-histoire de l'Archéologie de l'École de Cnide (p. 680-697), une excellente synthèse des travaux publiés sur le sujet depuis 1974 et des positions adoptées par les uns et les autres. Il propose ainsi une réflexion parfaitement documentée et nuancée, axée sur l'évolution des méthodes d'analyse et replacée dans le contexte de l'histoire de la philologie hippocratique. Les quatre autres chapitres de la postface constituent autant de compléments actualisés à l'édition première de 1974. L'auteur signale d'abord les apports à l'Archéologie parus dans les domaines épigraphique (p. 697-699) et papyrologique (p. 699), avant de fournir divers Addenda à des passages particuliers (p. 700-710), mais aussi à la bibliographie (p. 711-716).
Avec cette deuxième édition de l'Archéologie de l'École de Cnide, J. Jouanna apporte une nouvelle contribution majeure aux travaux hippocratiques et à l'étude des traités qui nous sont parvenus sous le nom du grand médecin grec. Certains pourraient regretter qu'il ne s'agisse que d'une réédition, mais vu le retentissement de cet ouvrage et son impact considérable sur le développement des recherches ultérieures, il s'agit sans aucun doute d'une réédition des plus utiles, d'autant que les quelques pages inédites, objet de la postface, resituent la publication initiale par rapport aux principaux questionnements qui ont traversé, depuis, les études hippocratiques. Elles lui garantissent ainsi une mise à jour, qui en fait un ouvrage toujours actuel, porteur d'un éclairage stimulant sur une problématique loin d'être résolue.
Table des matières
Introduction 1
Index des sigles 7
I. Tradition et novation dans l'École de Cnide 11II. La double rédaction de Maladies II 25
III. Premières conclusions sur l'évolution de l'École de Cnide 127
IV. L'époque ancienne de l'École de Cnide: remarques sur la structure de Maladies II A 161
V. L'époque récente de l'École de Cnide: l'étiologie du traité des Affections internes 175
VI. L'époque récente de l'École de Cnide: l'étiologie dans Affections et Maladies I 261
VII. Situation de Maladies III dans l'évolution de l'École de Cnide 363
VIII. Pour une interprétation archéologique de la thérapeutique et de la sémiologie dans les traités dérivés des Sentences cnidiennes 453
Bilan et perspectives 501
Appendices 515
App. I: Chapitres des traités cnidiens édités 515App. II: Rédactions parallèles dans les traités cnidiens dérivés des Sentences cnidiennes 519
App. III : Commentaire critique des passages édités 521
Index 633
Index des passages cités :I. Dans la Collection hippocratique 633
II. En dehors de la Collection hippocratique 645
Index des principaux mots grecs commentés 649
Index des notions 651
Index des ouvrages cités 655
L'archéologie de l'École de Cnide et le nouveau témoignage du PKöln 356 (Inv. 6067) 663
Postface 679
I. Pour une post-histoire de l'Archéologie de l'École de Cnide 680II. L'archéologie de l'École de Cnide : l'apport de l'épigraphie 697
III. L'archéologie de l'École de Cnide : l'apport de la papyrologie 699
IV. Addenda à des passages particuliers 700
V. Addenda à la bibliographie 711
Table des matières 717
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